Le blog de michel koppera

« La chambre obscure », chapitre 5

Philippe

 

chambre5-1Pressé de sortir, hâte de plonger mon regard dans le sien entraperçu, je balbutie un au revoir, ma main va pour pousser la porte lorsque , brusquement, j'interromps mon geste.

Etais-je à ce point décontenancé à ma première visite pour ne pas l'avoir remarqué ?

Il me rappelle celui que je devais affronter lorsque ma grand-mère chez qui je passais des vacances me demandait de l'accompagner jusqu'à la pharmacie.

Parfois lorsqu'elle était trop chargée de commissions, je devais saisir moi-même cette poignée pour ouvrir la porte : elle était froide, en métal verdâtre et figurait un serpent à la gueule ouverte.

À chaque fois, la nuit même, ce serpent venait hanter mes cauchemars.

Celui de la boutique du photographe était sculpté dans un bois d'essence exotique mais tout aussi inquiétant car il avait cette particularité d'être bicéphale...

Je marmonne, faisant semblant de chercher mes clés pour faire diversion et cacher mon émoi ; une fois la peur enfantine chassée, je m'empare de la poignée de porte.

Son corps est chaud.

Dehors mon compagnon de ruelle semble m'attendre, je lui envoie un salut de la main, il demeure immobile, le regard fixe et curieux.

Je ne puis ouvrir ici ma sacoche, Valentin me guette peut-être et il me faut vite rejoindre la gare, mon train ne saurait tarder.

Je trouverai bien un compartiment vide pour enfin l'admirer.chambre5-2

Après quelques recherches me voici assis au calme, lorsque je m'apprête à enfin ouvrir la pochette aux photos, arrive un vieux monsieur encravaté précédé d'une jeune femme brune d'à peine vingt ans.

Elle s'assied à mes cotés, lui face à elle, sans doute pour admirer la jupe courte et les collants de la demoiselle.

Je serais hypocrite de le condamner, ne suis-je pas en train d'exhiber ma propre femme au regard d'un inconnu ?

Ma voisine apprendra je l'espère avec l'âge à être plus discrète en se parfumant.

Je connais déjà la réaction de Monika ce soir à mon retour.

- Ben dis donc tes collègues se parfument avec un arrosoir de Chanel !

Je suis censé rentrer tard à cause d'une réunion d'équipe, il me faudra faire montre de talent et d'imagination.

D'autant que la jeunette plutôt que d'occuper une place à l'extrémité du wagon semble vouloir se coller à moi, fort heureusement ma sacoche fait rempart entre nous deux.

Lorsque je pénètre dans la maison, j'entends le bruit de la douche qui vient de s'arrêter, juste le temps de glisser la sacoche dans le tiroir de mon bureau et d'un bisou elle m'accueille encore humide, le corps nu enroulé dans une serviette,

- Tu rentres tard, tu sens fort !!!

Regard interrogateur.

- Bientôt ton anniversaire- stop- Top secret- stop,

Sourire complice.

- File sous la douche- stop- sinon divorce- stop- lol

J'entre dans la salle de bain, me déshabille, alors que je vais pénétrer dans la baignoire, je le remarque à quelques centimètres à peine de la bonde, encore un peu et il allait disparaître.

Délicatement je le saisis pour le poser sur le meuble voisin, bien vite j'en découvre d'autres, ils sont maintenant au nombre de sept que je conserve dans une boite transparente.

chambre5-0Je prends ma douche et retrouve Monika assise dans le salon, elle a pris soin de repousser mes dossiers et courriers.

Ses jambes nues se balancent, ses mains s'entrelacent, elle est radieuse, ses cheveux à peine secs tombent en boucles d'or. Seulement vêtue d'une culotte et d'un fin tee-shirt blanc sous lequel je devine la pointe de ses seins libres.

Elle me confie son envie de changer le décor de notre chambre, son mobilier, son ambiance mais aussi sa garde-robe.

Hypnotisé par son charme je l'écoute.

Ok Monika je te laisse carte blanche pour la décoration en échange, jusqu'à ton anniversaire permets-moi de revenir un peu plus tard qu'à l'accoutumée sans avoir à me justifier.

Trop heureuse du marché conclu elle m'invite à la suivre au lit.

Dans une position de tendresse, en chien de fusil, serrés presque nus l'un contre l'autre, elle s'endort tandis que je songe.

Finalement je n'ai pas envie d'ouvrir la pochette de Valentin, j'aurais trop peur de rompre le charme,

Ce que je vis en ce moment est si beau, je serais fou de demander plus.

Je n'ai pas envie d'attendre pour me rendre chez Valentin, dés demain je lui apporterai de nouvelles épreuves à développer.

Il sera surpris sans doute de me revoir si vite, même s'il n'est pas dupe.

Il m'a dit la trouver belle et semblait sincère.

Pourquoi n'ai-je pas répondu qu'il n'avait encore rien vu ?

Il trouve le prénom de Monika peu approprié, quel est celui qui l'aurait été selon lui ?

Comment vais-je la lui dévoiler, dans quel ordre son intimité apparaîtra ?

Mes paupières s'alourdissent,

Je sais déjà quelle enveloppe demain je lui porterai...

...Elle est nue sous les draps, les yeux ouverts, elle sourit sans mot dire, il approche, glisse vers elle, doucement, sans un bruit...

Je me réveille en sursaut !

Ecrasé de fatigue je me rendors aussitôt.

Le lendemain, je quitte le travail plus tôt que d'habitude.

J'ai pris soin de n'emporter dans ma sacoche que la seule enveloppe que je dépose sur son comptoir.

Il m'attendait...

chambre5-3

Valentin

Il est revenu, toujours aussi mystérieux et taciturne. Je ne connais même pas son nom et je dois avouer que sa démarche est plutôt déroutante. En effet, après les premiers travaux qu'il m'avait demandés d'effectuer – pour me tester, j'en suis sûr – je m'attendais logiquement à des clichés de plus en plus indiscrets, voire indécents. En près de trente années de métier, j'ai fini par connaître – de fond en comble, si je puis dire – les galeries secrètes du temple aux fantasmes masculins. Dans le saint des saints, resplendit et palpite le sexe magnifié de la femme, mais avant d'y parvenir, le regard et la pensée doivent emprunter une sorte d'itinéraire initiatique qui passe par le dessin de sa bouche, la douce pesanteur de ses seins et de ses fesses, l'arrondi de son épaule, avec parfois un détour inattendu par la fontaine de son nombril ou une touffe axillaire... Mais, quel que soit le chemin, depuis la nuit des temps, le but ultime en est toujours le même, s'agenouiller, se prosterner, aux portes du sanctuaire devant le tabernacle sacré : des cuisses écartées, un mont de Vénus majestueux, des nymphes pulpeuses, un clitoris turgescent, une vulve entrouverte...

chambre5-5Aussi, quel ne fut pas mon étonnement lorsque, à l'ouverture de l'enveloppe qui contenait sa nouvelle commande, de n'y trouver que des photos de mains et de pieds. Sans doute les tarses et métatarses de la belle Monika ! Tout cela était si inattendu, si saugrenu, que j'ai d'abord cru à une erreur ou à une plaisanterie ; mais ce n'était pas le genre du personnage. J'ai pensé aussi au fétichisme, après tout pourquoi pas ! Mais là encore, ça ne collait pas : le fétichiste ne s'intéresse qu'à l'unique objet de son culte, le reste lui est totalement indifférent. Dans ce cas, pourquoi mon client m'aurait-il d'abord apporté des photos sans rapport direct avec ses fantasmes ongulés ? Non, la réponse était ailleurs...

C'est dans la pénombre orangée du labo que j'ai enfin donné un sens à ces photos d'ongles soigneusement manucurés et vernis, de pieds nus... Ongles apprêtés pour séduire, mais aussi ongles acérés pour griffer, pour lacérer ; pieds nus pour s'approcher à pas feutrés ou pour s'enfuir au premier danger... Ainsi, je redécouvrais Monika la féline, tout à tour chatte domestique ou lionne sauvage, fauve câline ou cruelle, ronronnante ou rugissante... Cette dualité se retrouvait dans les photos, dans le contraste entre la douceur candide des motifs qui fleurissaient sur ses ongles et la menace de leur fond de vernis noir, avec parfois même une touche sanguine encore plus inquiétante...chambre5-6

Ainsi l'homme se jouait de moi, m'entraînant malgré moi dans une sorte de jeu de piste érotique, balisé d'indices et d'énigmes, qui devaient me mener inexorablement aux portes encore closes de ce que les Grecs anciens appelaient le Naos, l'épicentre du temple où s'élevait la statue de la divinité...

chambre5-4

 

 

 

 

Mar 14 oct 2014 Aucun commentaire