Le blog de michel koppera
Günter GRASS, « le Turbot » (1977)
Roman paru aux éditions du Seuil en 1979 pour la version française
534 pages. Traduit de l’allemand par Jean Amsler
Extrait n° 1. pages 55-56. Aux temps préhistoriques, une femme est envoyée près du Loup céleste pour lui dérober le feu.
« Donc une femme gravit l’arc-en-ciel et trouva le Loup céleste couché près du Feu originel. Il venait de manger un rôti croustillant. Il en donna un reste à la femme. Elle mâchait encore quand il lui dit d’une voix triste : "Je sais que tu viens chercher le feu ! As-tu où le mettre ? »
Quand la femme lui montra où, il dit : « Je suis vieux et je n’y vois plus. Couche-toi près de moi histoire que je te mette à l’épreuve. »
Alors la femme se coucha près du Loup. Et il éprouva la poche à l’aide de son membre de loup au point qu’épuisé il s’endormit en cet état. Après avoir attendu un peu, et encore un peu, elle fit glisser l’éprouvette hors de la poche, le fit basculer, comme il était couché sur elle, de côté, se mit debout, s’ébroua quelque peu, prit ensuite trois petits morceaux de braise rouge du Feu original et les cacha dans sa poche où aussitôt ils détruisirent la semence du loup dans un sifflement de bouilloire.
Alors le Loup s’éveilla, car il se pourrait qu’il eût entendu ou senti que la braise consumait sa semence dans la poche de la femme. Il dit : « Je suis trop fatigué pour te prendre ce que tu as dérobé. Mais entends-moi bien : le Feu originel marquera d’un signe l’endroit où s’ouvre ta poche. Il restera comme une cicatrice. La cicatrice n’arrêtera pas de démanger. Et comme ça démange, tu désireras que quelqu’un vienne ôter la démangeaison. Et quand ça ne te démangera pas, tu souhaiteras que quelqu’un vienne et te fasse une démangeaison. »
Alors la femme se mit à rire, car le feu de la braise ne la brûlait plus jusqu’à lui faire mal, puisque sa poche était encore humide. Elle rit tellement fort qu’elle faillit s’étouffer. Et toujours riant elle dit au Loup fatigué : » Vieux schnoque. Ne me vends pas de salades. Je vais te montrer ce que je sais faire. Tu vas être étonné. »
Donc elle se plaça les jambes écartées au-dessus du Feu original, mit cependant deux doigts devant sa poche pour qu’il n’en tombe rien, et pissa dans le Feu original tant qu’il fut éteint. Alors le vieux Loup céleste pleura, car désormais il ne pourrait plus manger de rôti croustillant, mais seulement avaler tout cru. C’est pourquoi les loups terrestres sont devenus méchants et ennemis des hommes.
La femme redescendit sur terre juste à temps par l’arc-en-ciel déjà pâlissant. Elle retourna dans sa horde en criant : « Ava ! Ava ! » parce que maintenant sa poche était sèche et que la braise rouge la brûlait. C’est ainsi qu’elle se fit un nom en phonétique primitive.
Quant à la cicatrice qui est à l’entrée de sa poche et que le vieux Loup céleste lui avait prédit être un lieu de démangeaison, elle fut plus tard appelée clitoris, mais resta jusqu’à ce jour un foyer de controverse pour les savants qui étudient l’origine de l’orgasme. »