Le blog de michel koppera
"Les ardents de la Rue du Bois-Soleil", # 51
Au mois de juillet, on a profité d’une semaine de vacances pour rendre visite à mon oncle Jean. Pour y arriver, c’est toute une aventure. De Paris jusqu’à Valence, ça va tout seul, il suffit de suivre le fleuve tranquille de l’autoroute. C’est après que ça se complique : il faut obliquer brutalement vers l’est et s’enfoncer dans des vallées de plus en plus étroites, sur des routes de plus en plus entortillées. À la fin, au bout du bout, il y a des endroits où deux voitures ne peuvent même plus se croiser. Avec tous ces virages, Aurélie avait mal au cœur…
Mon oncle Jean habite – avec sa femme – dans le Vercors. Ils sont à la retraite tous les deux, alors ils passent leurs journées à contempler la montagne et à trouver ça beau… De toute façon, il n’y a rien d’autre à faire ! Le premier village est à trois kilomètres. Trois kilomètres, on pourrait dire que c’est rien, mais en voiture, avec tous ces virages qui s’enchaînent, faut bien compter vingt minutes. Et on ne parle pas du supermarché, du cinéma ou du médecin, là faut plutôt tabler sur une demi-journée ! Donc, regarder la montagne ou baiser, il n’y a pas vraiment le choix. Avec Aurélie, on a opté pour la baise, parce que la montagne ça ne nous branche pas vraiment…
Mon oncle Jean, il a soixante-trois ans, le nez envahi de couperose et un gros ventre. Car il aime trop manger. Mireille, sa femme depuis plus de trente ans, elle fait tout ce qu’elle peut pour modérer ses appétits et son taux de cholestérol. En vain. C’est pour ça qu’on avait été surpris d’apprendre qu’il avait naguère lancé le javelot et couru le 400 mètres.
- Erreurs de jeunesse ! dit-il en se pianotant jovialement la bedaine.
Evidemment, il n’était pas question d’évoquer le rôle d’une certaine Reine Victoire dans sa brève carrière sportive. Qu’était-elle devenue celle-là ? Aurélie aurait bien aimé le savoir.
On lui a montré la photo de classe en lui disant qu’on l’avait trouvée sur Internet. Pas de danger qu’il aille vérifier : ils n’avaient pas d’ordi et n’y connaissaient rien en informatique ! C’était dimanche. On était encore à table. On venait de prendre le dessert et on attendait le café. L’oncle Jean a posé la photo à plat sur la table de la salle à manger et il est resté très longtemps à la regarder en répétant :
- Ben, ça alors !... Ça alors !...
- Vous reconnaissez quelqu’un ? a demandé Aurélie dont je devinais le cœur battant.
L’index boudiné de l’oncle Jean se promenait lentement sur la photo. Puis il s’est arrêté sur un visage, au dernier rang, en haut à gauche : une tête blonde comme celle des autres, mais un regard clair, une esquisse de sourire malicieux…
- Lui, il s’appelait Tristan, Tristan Daimler !
à suivre...