Le blog de michel koppera

" Les ardents de la Rue du Bois-Soleil" # 58

ardents61À partir de ce jour, Aurélie a définitivement cessé de porter des pantalons et des collants, même pour se rendre au travail. Désormais, elle ne met plus que des robes ou des jupes, parfois indécentes, et des bas qu’elle commande sur catalogue de lingerie érotique ou dans des boutiques en ligne spécialisées dans ce genre d’articles.

Son vocabulaire amoureux s’est récemment enrichi de mots nouveaux qu’elle emploie avec une évidente excitation : bite, couilles, chatte, cul et même foutre ponctuent maintenant nos accouplements qu’elle souhaite moins rares et plus festifs, comme elle dit.

Aux fêtes de Noël en famille, son nouveau look en a étonné voire choqué plus d’un, à commencer par sa mère. En bonne féministe qui se respecte – elle avait à peine seize ans qu’elle défilait déjà aux côtés des militantes du MLF – la maman d’Aurélie a gardé les cheveux courts, met un point d’honneur à ne porter ni soutien-gorge, ni bague au doigt… Aussi, quand elle a vu débarquer sa fille en robe courte, bottes de cuir à talons hauts, les lèvres et les paupières fardées, elle n’a pu réprimer une moue de désapprobation. Sans doute a-t-elle pensé que j’étais à l’origine de ce changement, ce qui explique qu’elle m’ait battu froid tout au long de notre séjour… Mais Aurélie s’en contrefichait.

Chez mes parents, l’ambiance n’était pas non plus au beau fixe. L’état de maman s’était encore aggravé, rendant toute conversation sérieuse impossible. Papa devait maintenant veiller sur elle comme sur une enfant, lui répéter jusqu’à l’absurde les mêmes consignes, tout en prenant garde à ne pas la froisser. Docile, elle se laissait commander, diriger, parfois gentiment réprimander… Elle allait de pièce en pièce, telle un automate, sans cesse à la recherche de quelque chose. Et puis, elle s’arrêtait soudain :

- Qu’est-ce que je cherche ? Je ne sais plus…

- La corbeille à pain.

- Ah oui, c’est ça ! D’habitude, je la range dans le buffet de la cuisine, mais je ne la vois pas…

Papa soupirait et me regardait tristement.

- C’est comme ça, du matin au soir…

Alors, peu lui importait qu’Aurélie porte un pantalon ou une jupe, une culotte Petit Bateau ou un string en dentelle…

Il y a quand même eu quelques instants heureux… Comme quand Aurélie a déniché au grenier un plein carton de disques vinyl. Des 45 tours ! Alors, papa a rebranché la platine, dépoussiéré le diamant et on a passé l’après-midi à écouter les vieux tubes de Boney M. C’était fascinant  de regarder tourner le disque noir, même si ça crachait pas mal. Maman était ravie de réécouter ses titres fétiches, comme  I want muscles  de Diana Ross.

- C’est moi qu’elle appelait ! a souri papa en faisant jouer ses biceps.

On a bien rigolé aussi avec le tube de Patrick Juvet, Où sont les femmes ?  et les refrains du Rockollection de Voulzy les ont ramenés plus loin encore dans le passé, dans les recoins secrets de leur enfance.ardents61-1

Un souvenir poussant l’   autre, maman nous a montré leur album de mariage. Elle l’a trouvé du premier coup ! Que la mariée était belle en ce samedi de mai 1978 ! Sur la photo de groupe, elle a essayé de redonner un nom à chaque visage : l’oncle Jean pas encore bedonnant, sa femme Mireille toute pimpante, les parents ravis, les grands-parents un peu embarrassés dans leurs habits du dimanche, des neveux et des nièces, des cousins et cousines, le garçon et la demoiselle d’honneur, déguisés en nouveaux mariés miniature et figés dans une pose un peu ridicule… Au dernier rang, tout en haut, d’autres visages encore, moins familiers…

- Des copains et copines de l’époque ! a dit papa pour couper court aux questions d’Aurélie.

- Tu sais que j’étais déjà enceinte de toi ! m’a annoncé fièrement maman. Oui, enceinte de plus de deux mois… Ni vu, ni connu !

 

Oui, je le sais, elle me l’a raconté tant de fois ! Ils s’étaient mariés à Courbevoie où ils avaient élu domicile. Maman était comptable et papa agent roulant à la SNCF. Le récit de leur rencontre dans l’express Paris-Le Havre faisait partie de la légende familiale : la jeune femme qui ne retrouvait plus son billet, le contrôleur qui avait fait preuve de mansuétude… Et, finalement, juste avant l’arrivée en gare du Havre, le billet retrouvé dans le labyrinthe du sac à main, la passagère qui part à la recherche du gentil contrôleur, qui finit par le croiser sur le quai et lui présente le billet et ses excuses… Happy end ! On est ému aux larmes, c’est presque comme au cinéma, trop beau pour être vrai !

à suivre...

Ven 27 jan 2017 Aucun commentaire