Le blog de michel koppera
"Les adieux", nouvelle inédite
chapitre 2
Ton déménagement est parti ?
Le bateau descendait lentement le chenal avant de contourner la balise rouge pour virer vers le large.
- Oui, hier matin. Il devrait arriver dans quatre ou cinq semaines.
Comme d’habitude, Paul était venu avec Mireille, sa maîtresse presque légitime. Dix années que ça durait, dix années de ruptures et de réconciliations tout aussi éphémères. Ils avaient encore vieilli ; bientôt, elle ne serait plus obligée de se teindre les cheveux pour se donner l’air blonde platine. Elle le traitait avec mépris, surtout depuis qu’il s’était définitivement séparé de sa femme. Elle avait la nostalgie du temps des folies adultères et du péché, quand elle était l’amante. Il l’appelait son poussin, alors qu’elle n’avait jamais été que poule, et même pas pondeuse.
Le bateau traînait deux longues lignes à bars. À l’arrière, Jean faisait semblant de s’y intéresser. Il les remontait à intervalles réguliers, vérifiait la bonne tenue du leurre, puis laissait filer le crin dans le tolet du pouce et de l’index réunis.
Paul était à la barre, dans la cabine.
- Qu’est-ce qu’on pêche là-bas ? demanda Jean qui venait d’ôter une algue accrochée à un hameçon.
- Du mérou, de la bonite… Il paraît qu’il y a aussi de l’espadon, mais il faut sortir du lagon.
- Tu verras, dit Paul en glissant la main sur la cuisse de Mireille, tu finiras par regretter les maquereaux grillés, le lieu au court-bouillon, et peut-être même les crevettes grises !
Jean avait renoncé à s’occuper des lignes. Il était venu poser son quintal et ses cinquante-deux ans sur le capot du moteur. Le diesel faisait vibrer son triple menton.
- Et les femmes, elles sont comment là-bas ?
- Noires, enfin plus ou moins…
Il plissa les paupières et se frotta les mains ce qui était chez lui signe de grande contrariété.
- Je n’ai jamais couché avec une négresse, je veux dire une vraie négresse… Je me suis arrêté aux métisses. Je t’ai déjà parlé de Maïté ? Elle avait une chatte qui ne s’oublie pas…
J’en avais pour une heure à l’écouter me raconter sa liaison, comme il disait. Et rien ne me serait épargné, ni les stratagèmes pour déjouer les pièges d’emploi du temps avec des aventures concomitantes, ni les rendez-vous périlleux, ni ses peurs rétrospectives de contracter une maladie compromettante… Je n’avais qu’à hocher la tête de temps en temps pour maintenir le flot verbeux de son histoire. Je regardais la côte toute proche, le vol des cormorans au ras des vagues, les rochers enneigés de fientes de goélands, la danse lente des méduses flottant comme des lunes entre deux eaux… Dans la cabine, Mireille se laissait caresser les hanches et aussi le creux des reins où la main de Paul s’attardait toujours plus bas. Il entretenait une érection qui lui boursouflait le bermuda.
- Elle m’a invité plusieurs fois à aller lui rendre visite à la Réunion, poursuivait Jean. Mais je n’ai jamais trouvé le temps… Ça ressemble à la Réunion ?
- Non, c’est beaucoup plus humide.
- Moi, je ne pourrais pas supporter ! dit Mireille en écartant la main de Paul. Pourquoi est-ce que tu pars ?
à suivre...