Le blog de michel koppera
Les quatre Sirènes # 14
Quatrième voix : Gabriela
En octobre 1989, j'ai commencé à recevoir en semaine, tôt le matin ou le soir, d'étranges coups de téléphone. Étranges, parce que, le temps que je me déplace pour répondre, mon mystérieux correspondant avait déjà raccroché. Les appels étaient toujours à la même heure : le matin vers 7h30, le soir plutôt vers 21h. Comme mon numéro était sur "liste rouge", cela ne pouvait être qu'une personne qui, soit me connaissait personnellement, soit avait obtenu mon numéro auprès d'un de mes familiers. Enfin, un soir de novembre, je suis parvenu à prendre mon correspondant de vitesse et à décrocher avant qu'il n'ait eu le temps de couper la communication. Ou, peut-être, avait-il volontairement fait preuve de lenteur ? Au bout du fil, rien qu'un souffle à peine perceptible...
- Allô ! Allô !.... Je vous écoute. Répondez !...Qui est à l'appareil ?
- Bonne nuit, Michel...
Puis la communication a été coupée. C'était sans aucun doute possible une voix de femme, mais qui m'était totalement inconnue... Ou alors très bien masquée... Ce petit jeu a duré encore des semaines, s'est interrompu pendant les fêtes de fin d'année, pour reprendre en janvier. Mais maintenant, elle me laissait décrocher pour que j'entende sa respiration et surtout sa voix qui me disait simplement "Bonjour Michel" ou "Bonne nuit Michel".
Passé chez France Télécom pour tenter de mettre fin à la plaisanterie, on m'a dit que les recherches pour identifier l'inconnue seraient longues et payantes, et surtout sans garantie de résultat si ma correspondante m'appelait d'une cabine. Bref, si je souhaitais vraiment être tranquille, on me conseillait de changer de numéro. Un plan galère ! De guerre lasse, j'ai acheté un répondeur pour ne plus être importuné par les sonneries en espérant que le message d'accueil froid et impersonnel du répondeur finirait par la décourager.
Avec des collègues de boulot, nous avions monté depuis quelques années, un club de volley-ball dont l'entraînement avait lieu tous les lundis, de 18 à 20h dans le gymnase du lycée voisin. Nous y retrouvions un groupe d'une douzaine d'enseignants, hommes et femmes comme nous. L'entraînement collectif était dirigé par un prof d'EPS qui arbitrait aussi le match qui clôturait chaque séance. Donc, un lundi de février 1990, pendant notre match contre l'équipe des profs, nous nous apprêtions à recevoir le service adverse. Juste en face de moi, de l'autre côté du filet, il y avait une toute jeune prof, qui avait rejoint le groupe en début d'année scolaire. Je ne savais même pas comment elle se prénommait, je ne lui avais encore jamais parlé.
Je croise son regard et, à cet instant précis, je sais que c'est elle qui, depuis des mois, me téléphone en secret. Et, dans ses yeux, je lis qu'elle a compris que je viens de la démasquer.
à suivre...