Le blog de michel koppera
Les quatre Sirènes # 19
Je n'ai revu Gabriela qu'à l'automne 1991. Elle ne venait plus à la séance d'entraînement de volley-ball du lundi soir et ne répondait plus au téléphone. C'est l'un de ses collègues qui m'a appris qu'elle s'appelait désormais Madame C* et que son mari était professeur stagiaire à Caen. Je ne sais même pas si j'ai souffert. J'étais sous anesthésie. Ce n'est qu'en novembre, aux jours les plus lugubres de l'automne, qu'elle est réapparue physiquement dans ma vie. Rayonnante, épanouie, mais pétrie de culpabilité. Alors que je ne lui demandais rien, elle m'a longuement expliqué qu'elle n'avait jamais été maîtresse de son destin, qu'elle était victime d'une sorte de contrat familial. Elle sollicitait mon pardon ou, tout du moins, mon indulgence. Elle est venue se serrer contre moi et, alors que je refermais mes bras sur son corps, j'ai ressenti pour la première fois le désir de la posséder, comme si elle se révélait enfin humaine, mais c'était trop tard, beaucoup trop tard...
Dans les mois qui suivirent, je ne l'ai revue que trois fois. En février 1992, elle a tenu à venir m'annoncer personnellement qu'elle était enceinte. En mai, lorsqu'elle a appris la mort accidentelle de mon frère, elle est venue me rendre visite, mais la revoir n'a en rien apaisé ma douleur. La dernière fois que je l'ai vue, c'était début juillet 1992. Elle portait son ventre rond comme un trophée. Elle m'a dit qu'elle avait obtenu sa mutation pour le Morbihan, je lui ai caché que j'allais bientôt quitter la France pour l'Océan Indien et que je n'étais pas sûr de revenir un jour. J'avais déjà cessé de maigrir mais pas encore commencé à reprendre du poids.
Épilogue
Un lundi matin maussade d'août 1992, un ami m'a déposé à la gare de Caen. Je n'avais pour bagage qu'une grosse valise avion. Dans les semaines qui avaient précédé, j'avais vidé ma maison et confié sa gestion à un notaire qui n'avait pas tardé à me trouver des locataires. Direction Saint-Lazare, taxi jusqu'à Roissy et le soir même, embarquement dans un Boeing 747 d'Air France pour Saint-Denis de la Réunion, et, dans la foulée, un saut de puce pour ma destination finale : l'île Maurice. J'ai posé ma valise à Mahébourg, chez Tristan... Je n'ai plus entendu le chant des Sirènes, à l'exception de quelques lointains échos. Ainsi en 1994, au détour d'une conversation téléphonique avec un des rares liens que j'avais conservés de ma vie d'avant, j'ai appris que Gabriela était maman d'une petite fille prénommée Camille. En 2001, alors que j'étais installé depuis deux ans, avec femme et enfants, au bord de l'Atlantique, j'ai reçu un coup de téléphone de Pauline. Comment avait-elle retrouvé ma trace ? D'une voix éraillée par l'excès de tabac, elle m'a dit que Daniel était décédé en 1997, étouffé par une crise aiguë de psoriasis qui avait envahi ses poumons. Elle m'a proposé de nous revoir. Je l'en ai dissuadée et elle n'a plus donné signe de vie. Quant à Michèle et Valérie, je ne les ai plus jamais revues...