Le blog de michel koppera
Premier roman d'Elena Ferrante, "L'amour harcelant" est paru en 1992. Publié en France chez Gallimard en 1995, on le trouve en poche Folio, n° 6755 (220 pages)
Comme dans la plupart des ouvrages d'Elena Ferrante, le récit a pour cadre la ville et la région de Naples.
Extrait page 88-89: Delia , la narratrice, se trouve dans une boutique de lingerie fine où des bourgeoises napolitaines essaient des sous-vêtements.
" Je lançai un regard aux personnes auxquelles avait fait allusion la vendeuse : femmes qui hurlaient dans un dialecte plein d'une allégresse féroce, riaient bruyamment, étaient couvertes de bijoux très précieux, sortaient des cabines en slip et soutien-gorge ou en succcincts maillots de bain peau de léopard, dorés, argent, étalaient des chairs abondantes striées de vergetures et trouées de cellulite, se contemplaient le pubis et les fesses, se soulevaient les seins dans la coupe de leurs mains, ignoraient les vendeuses et s'adressaient dans ces poses à une espèce de videur tiré à quatre épingles et déjà bronzé, placé là exprès pour canaliser leur flux de lires et menacer des yeux les vendeuses inefficaces.
Ce n'était pas la clientèle que je m'étais imaginée. On aurait dit des femmes dont les hommes s'étaient enrichis d'un seul coup et facilement, les jetant dans un luxe provisoire dont elles étaient contraintes de jouir avec une sous-culture de sous-sol humide et surpeuplé, de bandes dessinées semi-pornos, d'obscénités ressassées comme des rengaines. C'étaient des femmes contraintes dans une ville-maison d'arrêt, d'abord corrompues par la misère et maintenant par l'argent, sans solution de continuité. À les voir et à les entendre, je me rendis compte que je devenais intolérante. Elles se comportaient avec cet homme comme mon père s'imaginait que se comportaient les femmes, comme il imaginait que se comportait sa femme à peine il tournait les talons, comme aussi peut-être Alamia (la mère de la narratrice) avait rêvé pendant toute sa vie de se comporter : une femme du monde qui se baisse sans être forcée de mettre deux doigts au milieu de son décolleté, qui croise ses jambes sans faire attention à sa jupe, qui rit avec vulgarité, qui se couvre d'ors et déborde de tout son corps en sollicitations sexuelles continuelles et indifférenciées, joutant entre quatre yeux avec les hommes dans la lice de l'obscène."