Le blog de michel koppera

Claire CASTILLON : "Les cris" roman paru en 2010 aux Editions FAYARD ( 190 pages).

Récit de la difficile séparation entre la narratrice et Adam. Le travail d'écriture de cette rupture est incarné ici par le "monstre textuel"

Extrait pages 105-106. 

" Adam m'a donc téléphoné pendant que le chien luttait pour ne pas sortir. Il voulait rester avec sa maîtresse. Le téléphone a sonné longtemps. J'ai même fini par me boucher les oreilles, je ne pouvais pas interrompre mon programme. Voilà Adam, me suis-je dit, il revient, la queue basse, combien de temps déjà ?

Je répondrai au prochain appel. Il est important d'amener Adam à penser que je ne suis pas barricadée chez moi à l'attendre. Es-tu fière de tes bas réflexes ? enrage le monstre textuel.

Détourner son attention. Lui faire part d'informations récemment acquises. Le remplir pour qu'il me vide. J'ai lu que l'orgasme vaginal était si fort qu'il fallait le garder secret afin de ne pas culpabiliser les femmes clitoridiennes en le leur disant. J'ai aussi entendu que le foie gras était un aliment diététique, contrairement aux idées reçues. 

Le montre textuel me demande si c'est là tout ce que j'ai dans le crâne. Il ajoute : Naughty girl, au lieu de raconter des bêtises, sentez-vous ces odeurs de nous, mêlées entre vos cuisses ?

Je sursaute. Vouvoiement ?

À la télévision, la femme dit : J'aime vivre avec mon molosse. J'aime qu'il m'attende quand je rentre. J'aime son odeur, j'aime son poil, son haleine. j'aime son dynamisme, sa vigueur, sa compagnie, sa fidélité. Mais parfois c'est du travail, je me demande si je l'aime. Ou si j'aime la mousse autour de lui.

Je suis certaine que la femme dit cela.

Après, je me concentre pour ne pas quitter la femme. Comme si j'écoutais une chanson dont on arrêtait soudain la musique, mais dont je devrais continuer à chanter le paroles. Si je perds la femme sous prétexte qu'elle quitte l'écran, je perds mon temps. Et si je perds le fil de sa journée, le monstre textuel va sonner le cloches.

Cela fait un moment que je caresse mon bras pour apaiser le monstre et tenter de l'endormir, mais une forte décharge ouvre mon entre cuisses.

Touchez-vous, dit le monstre textuel, tout chez vous m'excite ! Je vous veux, langue pendante, affûtée, aux abois, ne vous calmez pas. Laissez venir."

castillon-cris


Ven 8 avr 2022 Aucun commentaire