Le blog de michel koppera
Baiser à la cave
Il y a des gens qui confondent encore sous-sol et cave alors que ces deux espaces n’ont en commun que de se situer sous la maison. Le sous-sol est un non-lieu, une utopie sans fonction bien définie. On y trouve en effet aussi bien les vélos, la machine à laver et un congélateur que des bidons d’huile de vidange, des étagères surchargées de vieilles chaussures et des caisses d’objets déglingués en instance de départ pour la déchetterie. Le sous-sol est gris, du sol cimenté au plafond de parpaings. Le sous-sol n’a pas d’âme, on ne fait que le traverser. Ce n’est qu’un grenier de bas étage, avec la nostalgie en moins.
La cave, c’est autre chose. Tout d’abord, la cave a une porte, une vraie porte avec une serrure à grosse clef. La cave ne reçoit jamais la lumière du jour, si ce n’est par un soupirail très étroit et poussiéreux. Dans la cave, été comme hiver, température et humidité sont constantes : 12 degrés Celsius et taux d’hygrométrie de 65%. C’est qu’on y entrepose les vins, les confitures faites maison et les bocaux de conserves stérilisées comme les pâtés de lapin ou les filets de maquereaux au vin blanc. Il y en a même qui y mettent à vieillir des boîtes de sardines millésimées…
Telle est la cave de notre ami Bastien où je n’ai eu qu’une seule fois le privilège de pénétrer. C’est arrivé par une chaude fin d’après-midi d’été. Bastien nous avait, Isabelle et moi, conviés à dîner. Nous n’étions pas les seuls invités et Bastien se démenait dans la cuisine à préparer ses brochettes pour le grand barbecue nocturne.
- Michel, je peux te demander un service ? Tu peux descendre à la cave et me remonter trois bouteilles de Brouilly ? Tu trouveras facilement, les casiers sont étiquetés.
Il m’a tendu une grosse clef à l’ancienne, polie par l’usage et douce au toucher. Isabelle m’a emboîté le pas dans les vingt-trois marches de l’escalier abrupt qui plongeait sous la maison.
- Si ça se trouve, ce n’est pas une cave mais une grotte, a chuchoté Isabelle. Une grotte préhistorique avec des peintures rupestres et des stalagmites, ou alors une crypte avec des ossements humains…
Un frisson de mystère mais surtout de froid s’est posé sur nos épaules. Elle ne portait qu’une petite robe mauve sans manches, légère comme une brume, et des sandales.
La cave ressemblait à une carte postale : une vaste pièce à la voûte basse, un rustique pavage de tomettes, des alignements de casiers à bouteilles plus ou moins garnis, au centre faisant office de table, une barrique debout où étaient posés une bouteille déjà entamée, trois verres à pied et un bougeoir. Isabelle a lu l’étiquette.
- Du Clinton ! Connais pas, ça te dit quelque chose ?
- Oui, je crois que c’est un vin interdit, parce qu’il est trop alcoolisé ou qu’il contient de l’éther, je ne sais plus.
- On y goûte ?
Effectivement, c’était plutôt corsé, mais aussi très fruité, avec la saveur si particulière des vins californiens. De petites étincelles ont scintillé dans les yeux d’Isabelle.
- Si c’est du Clinton, alors je veux bien être Monica Lewinski…
Elle en avait la chair de poule, la bouche fraîche et parfumée et surtout le cul chaud bouillant. On a éteint l’éclairage électrique et baisé à la bougie, dans le frais silence du ventre de la terre. Le verre de Clinton à la main, sans culotte, la robe retroussée haut sur les hanches, Isabelle a promené son fessier généreux et conjugal tout en déchiffrant à haute voix les étiquettes des casiers à bouteilles. Sa voix chaleureuse résonnait sous la voûte et, sur ses lèvres, chaque nom chantait comme une déclaration d’amour : Château Beauregard, Domaine des Ardents, Clos de la Gravière, Coteaux des Buissons… Tout au fond, dans une encoignure, un antique escabeau de bois nous tendait ses trois marches. C’est là que je l’ai rejointe, la bite en garde, un peu ivre de désir.
Je ne suis pas expert en œnologie, mais ce jour-là, le cul d’Isabelle était sans conteste digne d’un grand crû classé de Sauternes : long en bouche, riche en saveurs épicées, avec de la cuisse et une élégante robe pleine de promesses. Assise sur la plus haute marche de l’escabeau, les jambes grandes ouvertes, Isabelle s’est donnée à boire, à siroter jusqu’à la dernière goutte, jusqu’à la lie d’un premier orgasme sirupeux. Sans attendre, nous nous sommes versé un autre verre de Clinton et avons de nouveau gravi les trois marches de l’escabeau de bois, comme étourdis d’amour…
Lorsque Bastien a ouvert le Brouilly, il a été un peu déçu : on avait manipulé les bouteilles sans précaution et troublé le vin. À ce jour, Bastien ne m’a plus jamais confié la clef de sa cave.
© Michel Koppera, juillet 2009