Le blog de michel koppera
Les quatre Sirènes, # 21
2. Plaidoyer
Dernière mise au point sur les circonstances - atténuantes ? - qui ont présidé à l'irruption des quatre Sirènes dans ma vie. Avant tout, comprendre que je suis un enfant du baby-boom, des "Trente Glorieuses" et du libéralisme. J'avais 16 ans en 1968 et il est indéniable que ce printemps-là marque une rupture radicale et festive avec le "monde d'avant". En quelques mois, on est passés de Tino Rossi aux Pink Floyd, des Gauloises bleues aux joints, du diabolo menthe au Coca...Quand je suis arrivé à la fac de lettres de Caen en septembre 1970, j'avais tout juste 18 ans et, d'un seul coup, tout était permis.
Tout ? Oui, tout ! Le cinéma d'Art et Essai, les concerts et les festivals de rock (en août 1969, j'étais déjà, avec un copain de lycée, à l'île de Wight où j'avais vu et entendu Dylan, Hendrix et les Doors), les barrettes de shit libanais et les sachets d'herbe colombienne, le Theâtre du Soleil d'Ariane Mouchkine à la Cartoucherie de Vincennes, les virées improvisées à Paris pour aller manger chinois au quartier latin et surtout le sexe, l'amour libre au quotidien, les multiples partenaires d'un jour, d'une nuit...
La fête a duré plus de 15 années. Et puis, en 1985, clap de fin de partie. Le VIH s'invite dans nos vies, d'abord lointain, abstrait... On s'imagine hors d'atteinte, jusqu'au jour où, sans qu'on y ait pris garde, le voilà tout proche qui touche dans leur chair des gens qu'on connaît, des gens à qui l'on parlait encore quelques semaines auparavant... En 1989, il emporte deux amis : un peintre talentueux et un bassiste qui rythmait nos nuits de fête.
Les quatre Sirènes furent en quelque sorte les interprètes du "chant du cygne", le baroud d'honneur de la vie sans entraves. Valérie, soixante-huitarde comme moi, perpétua pour quelques années encore l'illusion d'une sexualité épanouie et gourmande... (J'ai appris que depuis mon départ en 1992, elle ne s'est jamais remise en couple) ; Michèle m'a initié à une sexualité moins charnelle, plus fantasmée, où le désir et le plaisir prennent des chemins plus tortueux, plus sophistiqués ; Pauline et Daniel (les seuls avec qui j'ai pris des précautions : préservatifs, tests de dépistage du VIH) tentaient de construire avec moi une sorte de cellule familiale insolite mais stable, un triangle amoureux immuable, refermé sur lui-même et finalement très sécurisant ; quant à Gabriela qui avait grandi dans l'ombre du Sida, elle incarnait le retour au puritanisme, à la chasteté érigée en dogme, à des valeurs qu'on croyait désuètes comme le mariage, la virginité et la soumission à l'autorité parentale...
Je n'ai plus le courage de répondre, d'argumenter... Je suis tellement fatigué de tout !
Ce que je voulais avant tout souligner, c'est que je ne crois absolument pas que la période qui a succédé à l'effervescence des années post-soixante-huit y soit aussi diamétralement opposée que vous le dites.
Je pourrais d'ailleurs reprendre toute l'énumération que vous en faites et montrer que chaque point que vous évoquiez est encore vrai aujourd'hui (y compris en ce qui concerne la consommation de stupéfiants, qui n'est pourtant pas moins illégale qu'elle ne l'était à l'époque ; "tout était permis" n'ayant été qu'un sentiment inégalement partagé, pas une réalité).
A l'unique exception de cette évolution particulière des mœurs sexuelles, que je considère pour ma part extrême, et qui s'est effectivement assagie, mais sans que cela ne constitue un retour au puritanisme, à la chasteté ou à la soumission filiale. Je crois que qu'aucun de ces mots n'est pertinent pour qualifier cette époque qui se prolonge jusqu'à la nôtre, même si je suis le premier à reconnaître et à m'offenser des injonctions néo-puritaines qui, pour de tout autres raisons qu'auparavant, assaillent notre temps depuis au moins l'apparition des réseaux sociaux.
Durant toute cette période que vous avez connue, la société a bel et bien évolué, trouvé tant bien que mal un nouvel équilibre entre ancien et nouveau, et non, elle n'est pas depuis revenue en arrière.
Et je ne vois pas spécifiquement, comme je le disais, le SIDA comme un moteur de cette variation par rapport à l'époque antérieure. Il y a aussi, surtout, je pense, un phénomène générationnel qui découle sans doute en grande partie de l'évolution même du concept de famille qui s'est complètement émancipé du modèle patriarcal d'autrefois.
C'est pourquoi lire qu'il y aurait eu à l'issue de votre révolution des mœurs un retour au puritanisme me choque : je ne crois pas que ce soit vrai, ni ne trouve que l'évolution que vous qualifiiez ainsi ait été néfaste ou même regrettable, quelle qu'en fut la raison.
Non, la fidélité (ou le refus des drogues) n'est pas un puritanisme ! Une sexualité épanouie et gourmande, ça ne veut pas nécessairement dire passer d'un partenaire à l'autre comme on change de chemise.
Et il me peine sincèrement de penser qu'il puisse n'y avoir eu que le SIDA pour remettre un peu "d'ordre", comme vous le diriez peut-être, à ces errements que je considère volontiers, pour me montrer aussi caricatural, absolument vides de consistance et de responsabilités.
Vous parlez de fête de quinze ans et de clap de fin... J'y vois simplement le retour à la réalité d'une jeunesse illusionnée... pour ne pas dire hallucinée, puisque vous ne manquez pas de souligner vous-même l'importance des drogues dans cette "vie sans entraves"...