Lundi 18 mai 2020 1 18 /05 /Mai /2020 08:00

Les quatre Sirènes, # 21

2. Plaidoyer 

Dernière mise au point sur les circonstances - atténuantes ? - qui ont présidé à l'irruption des quatre Sirènes dans ma vie. Avant tout, comprendre que je suis un enfant du baby-boom, des "Trente Glorieuses" et du libéralisme. J'avais 16 ans en 1968 et il est indéniable que ce printemps-là marque une rupture radicale et festive avec le "monde d'avant". En quelques mois, on est passés de Tino Rossi aux Pink Floyd, des Gauloises bleues aux joints, du diabolo menthe au Coca...Quand je suis arrivé à la fac de lettres de Caen en septembre 1970, j'avais tout juste 18 ans et, d'un seul coup, tout était permis. 

Tout ? Oui, tout ! Le cinéma d'Art et Essai, les concerts et les festivals de rock (en août 1969, j'étais déjà, avec un copain de lycée, à l'île de Wight où j'avais vu et entendu Dylan, Hendrix et les Doors), les barrettes de shit libanais et les sachets d'herbe colombienne, le Theâtre du Soleil d'Ariane Mouchkine à la Cartoucherie de Vincennes, les virées improvisées à Paris pour aller manger chinois au quartier latin et surtout le sexe, l'amour libre au quotidien, les multiples partenaires d'un jour, d'une nuit...

La fête a duré plus de 15 années. Et puis, en 1985, clap de fin de partie. Le VIH s'invite dans nos vies, d'abord lointain, abstrait... On s'imagine hors d'atteinte, jusqu'au jour où, sans qu'on y ait pris garde, le voilà tout proche qui touche dans leur chair  des gens qu'on connaît,  des gens à qui l'on parlait encore quelques semaines auparavant... En 1989, il emporte deux amis : un peintre talentueux et un bassiste qui rythmait nos nuits de fête.

Les quatre Sirènes furent en quelque sorte les interprètes du "chant du cygne", le baroud d'honneur de la vie sans entraves. Valérie, soixante-huitarde comme moi, perpétua pour quelques années encore l'illusion d'une sexualité épanouie et gourmande... (J'ai appris que depuis mon départ en 1992, elle ne s'est jamais remise en couple) ; Michèle m'a initié à une sexualité moins charnelle, plus fantasmée, où le désir et le plaisir prennent des chemins plus tortueux, plus sophistiqués ; Pauline et Daniel (les seuls avec qui j'ai pris des précautions : préservatifs, tests de dépistage du VIH) tentaient de construire avec moi une sorte de cellule familiale insolite mais stable, un triangle amoureux immuable, refermé sur lui-même et finalement très sécurisant ; quant à Gabriela qui avait grandi dans l'ombre du Sida, elle incarnait le retour au puritanisme, à la chasteté érigée en dogme, à des valeurs qu'on croyait désuètes comme le mariage, la virginité et la soumission à l'autorité parentale...

Par michel koppera - Publié dans : souvenirs - Communauté : Fantasmes et écriture
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