"Crissie et Monsieur K." chapitre 37 b
Nous nous sommes arrêtés dans une station service : nous avons bu un café, fumé une cigarette : nous n'avons pas cessé de nous regarder. Puis nous avons repris la route sans un mot.
Je tournais souvent la tête vers toi mais tu étais absente : ton profil parfait, encore une fois, avait la beauté tragique des statues de pierre. Un orage soudain s'est mis à taper fort contre les vitres de la voiture, et c'était comme si nous étions encore plus enfermés en nous-mêmes. J'ai pressé ta main gauche une seconde, en regardant droit devant moi, et l'ai relâchée. La pluie battait de plus en plus fort, puis s'est calmée d'un seul coup. Notre respiration à nous aussi s'est apaisée, comme si nous acceptions tous les deux quelque chose, définitivement.
J'ai glissé un doigt dans la pochette de mon veston et t'ai tendu le petit cadenas précieux qui scellait nos attaches. Je te rendais la liberté que tu allais, de toute façon, reprendre.
Je me suis senti vide, vieux et plein d'amour.
Nous avons continué à nous taire : nous aurions voulu parler que nous en aurions été incapables. Une chape de plomb écrasait nos langues et nos coeurs.
Nous sommes entrés dans Paris et j'aurais voulu que ça n'arrive jamais. Tout s'imprimait dans mon esprit, cette boutique dans le boulevard, cette affiche d'expo avec une photo d'Aragon, cette fille qui traversait avec une jupe rouge.
Boulevard de l'Hôpital, tu m'as fait signe de m'arrêter près de la Gare d'Austerlitz et pendant une fraction de seconde, j'ai eu un grand blanc. J'ai arrêté la voiture sans couper le contact. Nous nous sommes penchés l'un vers l'autre en nous serrant trop fort et ces quelques secondes m'ont semblé une éternité de douleur.
Tu es sortie et tu as claqué la portière. Dans mon trouble, j'ai calé. C'était une fin de film ridicule.
J'ai redémarré comme un fou et me suis enfui. Je n'ai pu m'empêcher d'avoir le regard aimanté par le rétro. Tu étais là, statufiée les bras ballants, éloignée de plus en plus, et tu me regardais à jamais.
FIN
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