Le blog de michel koppera

En 2012, j'avais déjà consacré un article à ce roman paru en 1984 aux "Editions de Minuit".  Marguerite DURAS , L'Amant. Ce second article est consacré au récit du premier rapport amoureux de la jeune narratrice avec son riche "amant" chinois.

Extrait n° 1 : pages 49-50. La narratrice a suivi son amant jusque dans sa garçonnière dans le quartier de Cholen, à Saïgon.

" Il dit : vous m'avez suivi jusqu'ici comme vous auriez suivi n'importe qui. Elle répond qu'elle ne peut pas savoir, qu'elle n'a encore jamais suivi personne dans une chambre. Elle lui dit qu'elle ne veut pas qu'il lui parle, que ce qu'elle veut c'est qu'il fasse comme d'habitude il fait avec les femmes qu'il emmène dans sa garçonnière. Elle le supplie de faire de cette façon-là.

Il a arraché la robe, il la jette, il a arraché le petit slip de coton blanc et il la porte ainsi nue jusqu'au lit. Et alors il se tourne de l'autre côté du lit et il pleure. Et elle, lente, patiente, elle le ramène vers elle et elle commence à le déshabiller. Les yeux fermés, elle le fait. Lentement. Il veut faire des gestes pour l'aider. Elle lui demande de ne pas bouger. Laisse-moi. Elle dit qu'elle veut le faire elle. Elle le fait. Elle le déshabille. Quand elle le lui demande il déplace son corps dans le lit, mais à peine, avec légèreté, comme pour ne pas la réveiller.

La peau est d'une somptueuse douceur. Le corps. Le corps est maigre, sans force, sans muscles, il pourrait avoir été malade, être en convalescence, il est imberbe, sans virilité autre que celle de son sexe, il est très faible, il paraît être à la merci d'une insulte, souffrant. Elle ne le regarde pas au visage. Elle ne le regarde pas. Elle le touche. Elle touche la douceur du sexe, de la peau, elle caresse la couleur dorée, l'inconnue nouveauté. Il gémit, il pleure. Il est dans un amour abominable.

Et pleurant il le fait. D'abord il y a la douleur. Et puis, après cette douleur est prise à son tour, elle est changée, lentement arrachée, emportée vers la jouissance, embrassée à elle.

La mer, sans forme, simplement incomparable. " 

duras-amant

Extrait n° 2  : pages 54-55 . Le même jour

" Je lui dis de venir, qu'il doit recommencer à me prendre. Il vient. Il sent bon la cigarette anglaise, le parfum cher, il sent le miel, à force sa peau a pris l'odeur de la soie, celle fruitée du tussor de soie, celle de l'or, il est désirable. Je lui dis ce désir de lui. Il me dit d'attendre encore. Il me parle. Il me dit qu'il a su tout de suite, dès la traversée du fleuve, que je serais ainsi après mon premier amant, que j'aimerais l'amour, il dit qu'il sait déjà que lui je le tromperai et aussi que je tromperai tous les hommes avec qui je serai. Il dit que quant à lui il a été l'instrument de son propre malheur. Je suis heureuse  de tout ce qu'il m'annonce et je le lui dis. Il devient brutal, son sentiment est désespéré, il se jette sur moi, il mange les seins d'enfant, il crie, il insulte. Je ferme les yeux sur le plaisir très fort. Je pense : il a l'habitude, c'est ça qu'il fait dans la vie, l'amour, seulement ça. Les mains sont expertes, merveilleuses, parfaites. j'ai beaucoup de chance, c'est clair, c'est comme un métier qu'il aurait, sans le savoir il aurait le savoir exact de ce qu'il faut faire, de ce qu'il faut dire. Il me traite de putain, de dégueulasse, il me dit que je suis son seul amour, et c'est ce qu'il doit dire et c'est ce qu'on dit quand on laisse le dire se faire, quand on laisse le corps faire et chercher et trouver et prendre ce qu'il veut, et là tout est bon, il n'y a pas de déchet, les déchets sont recouverts, tout va dans le torrent, dans la force du désir."

Note : difficile de trouver une illustration qui convienne pour ce genre de texte. Alors, à défaut, je vous propose cette "nipponnerie moralement correcte"


Mar 22 mar 2022 Aucun commentaire