Jeudi 19 avril 2012 4 19 /04 /Avr /2012 10:17

Marguerite DURAS, « L’amant », Editions de Minuit, 1984

Je n’ai pas choisi un passage où la narratrice se donne à son amant chinois, mais un autre moins connu, au pensionnat, où Marguerite est secrètement amoureuse d’une de ses camarades de pensionnat, Hélène Lagonelle, qui a 17 ans. Il y a beaucoup d’émotion, d’admiration et de sensualité dans ce passage. La langue de Duras est magnifique, et prend toute sa saveur lorsqu'elle est lue à voix haute : c'est un poème en prose.

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Saïgon, sur les bords du Mékong, vers 1930

«  Je reviens près d’Hélène Lagonelle. Elle est allongée sur un banc et elle pleure parce qu’elle croit que je duras3vais quitter le pensionnat. Je m’assieds sur le banc. Je suis exténuée par la beauté du corps d’Hélène Lagonelle allongée contre le mien. Ce corps est sublime, libre sous la robe, à portée de la main. Les seins comme je n’en ai jamais vus. Je ne les ai jamais touchés. Elle est impudique, Hélène Lagonelle, elle ne se rend pas compte, elle se promène toute nue dans les dortoirs. Ce qu’il y a de plus beau de toutes les choses données par Dieu, c’est ce corps d’Hélène Lagonelle, incomparable, cet équilibre entre la stature et la façon dont ce corps porte les seins, en dehors de lui, comme des choses séparées. Rien n’est plus extraordinaire que cette rotondité extérieure des seins portés, cette extériorité tendue vers les mains. Même le corps de petit coolie de mon petit frère disparaît face à cette splendeur. (…) Elle vient des hauts plateaux de Dalat, Hélène Lagonelle. Son père est un fonctionnaire des postes. Elle est arrivée en pleine année scolaire, il y a peu de temps. Elle a peur, elle se met à côté de vous, elle reste là à rien dire, souvent à pleurer. Elle a le teint rose et brun de la montagne, on le reconnaît toujours ici où tous les enfants ont la pâleur verdâtre de l’anémie, de la chaleur torride. Hélène Lagonelle ne va pas au lycée. Elle ne sait pas aller à l’école, Hélène L. Elle n’apprend pas, elle ne retient pas. Elle fréquente les cours primaires de la pension mais ça ne sert à rien. Elle pleure contre mon corps, et je caresse ses cheveux, ses mains, je lui dis que je resterai avec elle au pensionnat. Elle ne sait pas qu’elle est très belle, Hélène L. (…)

Le corps d’Hélène Lagonelle est lourd, encore innocent, la douceur de sa peau est telle, celle de certains fruits, elle est au bord de ne pas être perçue, illusoire un  peu, c’est trop. Hélène Lagonelle donne envie de la tuer, elle fait se lever le songe merveilleux de la mettre à mort de ses propres mains. Ces formes de fleur de farine, elle les porte sans savoir aucun, elle les montre ces choses pour les mains les pétrir, pour la bouche les manger, sans les retenir, sans connaissance d’elles, sans connaissance non plus de leur fabuleux pouvoir. Je voudrais manger les seins d’Hélène Lagonelle comme lui ( l’amant) mange les seins de moi dans la chambre de la ville chinoise où je vais chaque soir approfondir la connaissance de Dieu. Être dévorée de ces seins de fleur de farine que sont les siens.

Je suis exténuée du désir d’Hélène Lagonelle.

Je suis exténuée de désir.

Je veux emmener avec moi Hélène Lagonelle, là où chaque soir, les yeux clos, je me fais donner la jouissance qui fait crier. Je voudrais donner Hélène Lagonelle à cet homme qui fait ça sur moi pour qu’il le fasse à son tour sur elle. Ceci en ma présence, qu’elle le fasse selon mon désir, qu’elle se donne là où moi je me donne. Ce serait par le détour du corps de Hélène Lagonelle que la jouissance m’arriverait de lui, alors définitive.

De quoi en mourir. »

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Par michel koppera - Publié dans : lectures x - Communauté : Arts érotiques
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