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Annie Ernaux, "Les années" (Editions Gallimard, 2008) Disponible en collection Folio n° 5000, 254 pages.
La description de photos de l'album familial d'Annie Ernaux pose les jalons de cette autobiographie à la fois personnelle et collective. Un ouvrage remarquable de lucidité.
Extrait 1. ( page 53) Dans les années 50
" Il était écrit dans le Larousse :
onanisme : ensemble des moyens adoptés pour provoquer artificiellement la jouissance sexuelle. L'onanisme détermine souvent des accidents très graves ; aussi devra-t-on surveiller les enfants à l'approche de la puberté. Les bromures, l'hydrothérapie, la gymnastique, l'exercice, la cure d'altitude, les médications martiales et arsenicales, etc., seront tour à tour employées.
Dans le lit ou les vécés, on se masturbait sous le regard de la société entière."
Extrait 2. (pages 114-115). Après 1968
" Les hontes d'hier n'avaient plus cours. La culpabilité était moquée, nous sommes tous des judéo-chrétiens, la misère sexuelle dénoncée, peine-à-jouir l'insulte capitale. La revue Parents enseignait aux femmes frigides à se stimuler jambes écartées devant un miroir. Dans un tract distribué dans les lycées, le Dr Carpentier invitait les élèves à se masturber pour tromper l'ennui des cours. Les caresses entre adultes et enfants étaient innocentées. Tout ce qui avait été interdit, péché innommable, était conseillé. On s'habituait à voir des sexes à l'écran mais on bloquait de peur de laisser échapper son émotion quand Marlon Brando sodomisait Maria Schneider. Pour se perfectionner, on achetait le petit livre rouge, suédois, avec des photos montrant toutes les positions possibles, on allait voir Techniques de l'amour physique. On envisageait de faire l'amour à trois. Mais on avait beau faire, on ne se résolvait pas à ce qui était hier considéré comme un outrage à la pudeur, se montrer nus devant ses enfants.
Le discours du plaisir gagnait tout. Il fallait jouir en lisant, écrivant, prenant son bain, déféquant. C'était la finalité des activités humaines."
Extrait 3. (page 156). Les années 80
" Les cassettes vidéo réalisaient le grand rêve du cinéma à domicile. Sur l'écran du Minitel, on consultait l'annuaire et les horaires SNCF, son horoscope et les sites érotiques. Il était enfin loisible de tout faire chez soi sans rien demander à personne, regarder à la maison et sans honte des sexes et du sperme en gros plan. L'étonnement s'estompait. On oublait qu'on n'aurait jamais cru voir cela un jour. On le voyait. Et alors, rien. Seulement la satisfaction d'avoir accès en toute impunité aux plaisirs naguère défendus."
Extrait 4. (page 160). Fin des années 80
" Les couples quadragénaires regardaient les films X de Canal +. Devant les queues infatigables et les vulves rasées en gros plan, ils étaient saisis d'un désir technique, étincelle lointaine sans rapport avec le feu qui les poussait l'un vers l'autre dix ou vingt ans auparavant quand il n'avaient même pas le temps de retirer leurs chaussures. Au moment de jouir, ils disaient "je viens" comme les acteurs. Ils s'endormaient avec la satisfaction de se sentir normaux."
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