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Atsuko, # 3
Vendredi, 16 heures.
Dans l'atelier, tous les chevalets avaient été enlevés. Il ne restait plus que les chaises disposées en cercle autour de l'estrade. Disparu aussi le castelet au rideau rouge. Sur l'estrade, le canapé avait été remplacé par une table dont on ne voyait que les pieds car elle était recouverte d'une sorte de grand drap blanc qui formait comme une tente... Nous brûlions tous de découvrir ce que cela cachait mais, comme pour nous punir de notre impatience, le maître commença par nous expliquer en détail le contenu de la séance :
– Je suppose que vous connaissez tous le body painting, même si vous ne l'avez sans doute jamais pratiqué. Comme je vous l'avais dit mercredi avant de nous quitter, tout le matériel va vous être fourni.
Il nous montra dans un coin de la pièce une sorte de desserte à roulettes sur laquelle étaient alignées une dizaine de coupelles pleines de liquide coloré ainsi que toutes sortes de pinceaux, rouleaux et brosses.
– Voici donc votre matériel : dans les coupelles, vous trouverez des mélanges prêts à l'emploi de peintures à l'eau, de toutes les couleurs, et sans danger pour la peau. Les outils sont à votre disposition, c'est important car première règle : à aucun moment vous ne devrez toucher le modèle avec autre chose que ces outils ! Tout manquement à cette règle vous exclurait d'office de l'atelier. Passons à l'organisation du travail de groupe, car vous allez réaliser une œuvre collective que je définirais comme un "cadavre exquis pictural". Je m'explique : vous n'aurez pas le droit d'ajouter dans une votre coin un motif, une figure, détachée de l'ensemble. Chaque fois que vous interviendrez sur le modèle, vous devrez partir d'un élément déjà réalisé et en imaginer un prolongement, une extension... et ainsi de suite. C'est bien compris ? On pourra considérer que l'œuvre sera achevée lorsque plus aucun d'entre vous ne voudra ajouter quelque chose. Ah ! j'allais oublier un détail qui a son importance : les peintures que vous allez utiliser sont un peu particulières : elles sont parfumées. Vous aurez l'occasion de découvrir l'odeur de chacune au fur et à mesure que vous les utiliserez. En tant que maître de cérémonie, c'est moi qui ai le privilège de décider du thème de votre création qui sera "le végétal sous toutes ses formes". Votre réalisation sera donc un bouquet de couleurs et de senteurs. Et comme vous ne pouvez travailler qu'à partir d'un dessin préexistant, j'ai pris les devants.
Ce disant, il s'approcha de la table et fit glisser le drap blanc à terre. C'était une table d'accouchement où était allongée Mademoiselle Atsuko, toute nue, les pieds dans les étriers, les cuisses écartées, le sexe et la raie culière grand ouverts. On lui avait mis sur les yeux un masque noir, semblable à celui qu'on porte dans les avions longs courriers lors des vols de nuit. Nous avons resserré notre cercle autour de la table : c'était la première fois qu'on la voyait de si près, presque à la toucher. Nous étions tous très impressionnés. Le dessin initial, celui réalisé par le maître, bien que très simple ouvrait le champ des possibles : sous le sein gauche d'Atsuko, partant de l'emplacement du cœur, il avait peint une sorte de liane sinueuse, garnie de quelques feuilles lancéolées d'un vert lumineux, qui filait sans l'atteindre vers la fontaine de son nombril. En se penchant au-dessus du dessin, on sentait une douce odeur de chocolat tiède à laquelle se mêlait une touche de menthe fraîche.
Il fallut patienter avant qu'un des élèves, un vieil homme un peu courbé, se décide à se saisir d'un pinceau, choisir quelques godets de couleur et s'approcher du corps nu. D'un geste sûr, il reprit la racine de la liane initiale et la prolongea avec une clématite qui contourna le sein gauche et grimpa jusqu'à l'épaule où se déployèrent ses fleurs rouges. C'était le signal que chacun attendait. Alors, petit à petit, au fil des intervenants qui s'affairaient autour d'Atsuko, son corps se transforma en un jardin d'Eden, tout à la fois jardin d'agrément, potager et verger riche de couleurs, de formes et de parfums. La végétation se répandait comme une pieuvre, allant se nicher dans les moindres replis de la peau... Des plantes grimpantes ou rampantes enlacèrent ses bras et ses jambes : capucines d'un bel orangé, glycines aux lourdes grappes de fleurs, lierres insidieux, ipomées luxuriantes... Des bosquets verdoyants ombrageaient ses aisselles, la vallée de ses fesses, son mont de Vénus... Dans son nombril s'épanouit une délicate fleur d'hibiscus, son téton gauche devint une framboise, le droit une fraise des bois. Quant à son sexe, il se métamorphosa en une magnifique fleur d'orchidée au parfum de vanille... Et, comme émergeant de cette végétation fantastique, il y avait le visage impassible d'Atsuko, dont la bouche aux lèvres carmin, nous apparurent comme la plus belle des fleurs.
Lorsque tout fut achevé, le maître nous invita à faire cercle autour de notre oeuvre éphémère pour la contempler avant de prendre une dernière fois la parole :
– J'ai oublié de vous préciser que les peintures que vous avez utilisées ne sont pas seulement parfumées, elles sont aussi comestibles. Je vous invite donc au festin. Mais la consigne reste la même : pas de contact manuel !
Ce sont les femmes qui ont donné le signal de la curée, en particulier celle à lunettes que j'avais surprise en train de se masturber alors qu'Atsuko posait sur le canapé en compagnie de ses deux éphèbes. Elle est montée sur l'estrade, a retroussé sa jupe et s'est agenouillée entre les jambes écartées d'Atsuko. Elle n'avait plus qu'à se pencher un peu en avant pour venir lui bouffer la chatte pendant que sa main droite s'affairait lubriquement entre ses cuisses. Deux autres femmes, plus jeunes celles-là, sont venues la rejoindre et ont entrepris de sucer les tétons fruitiers, puis une autre encore qui l'a embrassée à pleine bouche. Atsuko qui jusque-là avait su rester immobile a peu à peu perdu le contrôle de son corps. Ses cuisses ont été saisies de tremblements, son ventre ondulant s'est creusé, ses mains se sont crispées sur les bords de la table comme pour éviter de tomber puis, assez rapidement, elle a joui une première fois en gémissant... Les lèvres maquillées de peinture diluée dans la mouillure et la salive, la dame à lunettes s'est écartée pour laisser la place, aussitôt occupée par un homme d'âge mûr, la bite à l'air, qui est venu enfiler le vagin béant.... Nous avons tous participé au banquet : les femmes la suçaient et la léchaient partout, les hommes la pénétraient, jeunes ou vieux, se branlaient au-dessus de ses seins ou de son ventre et éjaculaient de longues giclées épaisses qui aspergeaient la peinture fraîche. Atsuko souriait et jouissait. Avec les pinceaux plats qui balayaient les dessins, l'odeur fade du sperme se mêlait aux parfums des couleurs qui se brouillèrent pour ne former qu'une grande palette multicolore aux motifs semblables à celles des sulfures des billes en verre.
Lorsque toutes les couilles furent vides, toutes les soifs étanchées, le calme revint. Chacun se rajusta et, l'un après l'autre, vaguement honteux, nous avons quitté l'atelier, laissant Atsuko seule sur l'estrade, barbouillée de foutre refroidi et de peinture séchée, allongée aux côtés du maître qui lui tenait la main comme à une enfant perdue.
Épilogue
Je n'ai regagné le domicile conjugal que le samedi soir. Mon épouse m'attendait, sagement assise sur le canapé du salon, en train de regarder un énième épisode d'une énième série télé.
– Alors, mon chéri, tu as passé une bonne semaine ?
– Comme toutes les semaines de séminaire : je suis resté assis pendant des heures à écouter des comptes-rendus ou des commentaires de bilans sur tableaux Excel, à prendre des notes... Et toi, ta semaine ?
– Rien de spécial... Ah, si ! tu te souviens que j'avais reçu une proposition pour poser comme modèle pour des élèves des Beaux-Arts ? Après beaucoup d'hésitation, j'ai tenté l'expérience.
– Et alors ?
– Comme toi ! Des heures immobile à garder la pose.
– J'espère pour toi que c'était bien payé...
– Pas mal. Je ne me plains pas...
– Au point de renouveler l'expérience ?
– Peut-être...
© Michel Koppera, juillet 2021