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"Crissie et Monsieur K. ", chapitre 23 a
Lorsque j’arrive chez moi, j’ai encore le vague espoir de te trouver assise devant la porte de l’appartement, mais tu n’es pas là. Avec dépit, je me rends compte que je ne sais rien de toi ; tu ne m’as donné ni adresse, ni numéro de téléphone. Je n’ai qu’un nom, un nom qui n’en est pas vraiment un. Tout ce qui me reste de toi, c’est ta grosse valise posée dans la vestibule et un petit cadenas que je tourne et retourne entre mes doigts fébriles.
La nuit tombe et je t’attends en vain. Un jour passe, puis un autre. Des jours, des semaines… Quand arrive l’hiver, j’ai cessé d’espérer. Parfois, pour garder en mémoire ton image, je me repasse la vidéo de ta soirée gang-bang. Mais je m’aperçois que sur cette vidéo, si tu ne caches rien de ton corps, livrant à l’œil du camescope tes seins, tes fesses et ton sexe, tu t’es toujours arrangée pour que ton visage n’apparaisse jamais en pleine lumière, mais à demi dissimulé par tes cheveux ou l’ombre d’un bras… Comme si tu te dérobais sans cesse à mon regard. Pourtant, pendant tout ce temps, pas une seule fois je ne suis tenté d’ouvrir ta valise, de fouiller dans tes affaires, sans doute parce que je sais d’avance que ces investigations seront stériles.
Bien sûr, il y a quelques jours heureux, comme cette soirée chez Nicolas qui nous « présente » une certaine Gabrielle, métisse couleur cannelle et bien charpentée qui se donne avec ardeur. Le travail m’aide aussi à supporter ton absence. Je passe mes journées dans les galeries, je suis de tous les vernissages. Je n’ai jamais rencontré autant d’artistes, écrit autant d’articles que durant cette période.
Et puis, un après-midi où je parcours en compagnie de Bertrand l’exposition d’un portraitiste à la mode, je tombe sur une photo de toi en noir et blanc. Certes on ne voit pas ton visage, mais il y a des détails qui ne trompent pas, comme l’arrondi de tes seins, le grain de ta peau et surtout ce petit croissant de lune noire tatoué au-dessus de ta cheville. L’artiste est jeune, talentueux. Au cours de notre entretien, il se montre peu disert, voire bourru. On parcourt ensemble son expo. Il s’arrête devant ta photo
- C’est ma préférée, dit-il avec un sourire inattendu.
Je reçois cet éloge comme un coup de poing.
- Pourquoi ça ? À cause du modèle ?
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