Mardi 22 novembre 2016 2 22 /11 /Nov /2016 08:00

"Les ardents de la Rue du Bois-Soleil", # 26

 Dimanche 28 juin 1964

 ardents28Je viens de passer le week-end à Paris avec Marcel. Il a voulu m’en mettre plein la vue. On a couché chez un de ses copains de chambrée, un gars qui était avec lui en Indochine, à casser du Viet comme ils disent. Ils n’ont parlé que de ça ! Le copain est marié à une femme plutôt belle mais qui n’a aucune conversation, si ce n’est que de se lamenter sur le fait qu’elle n’arrive pas à avoir d’enfant et que si ça se trouve elle est stérile. De quoi se plaint-elle !

Heureusement qu’ils logent pas loin de l’Opéra, ça m’a donné l’occasion d’aller aux Galeries Lafayette rêver un peu devant la lingerie. À force de tourner autour, Marcel a fini par m’acheter des dessous un peu coquins. Le pauvre, il croit que c’est pour lui ! Je les mettrai surtout pour Tristan quand il viendra. Je me suis même offert, en cachette, un joli porte-jarretelles rose.

Samedi soir, le copain nous a servi de guide pour la tournée des grands ducs en DS. Sa femme, elle n’a pas voulu nous accompagner, elle a dit que c’était une balade pour les ploucs. Roger – c’est le nom du copain de Marcel – nous a emmenés d’abord au Trocadéro pour voir la Tour Eiffel illuminée, puis l’esplanade des Invalides et la Maison de la Radio toute neuve. Marcel a tenu à voir où était le Moulin Rouge. Mais ce qui l’intéressait le plus, c’était de voir les putes du côté de Pigalle et aussi celles de la rue Saint-Denis. Avec la DS, ils roulaient tout doucement et faisaient leurs commentaires. Je les entends encore :

- Là, à la belle saison, ça va. La nuit, il fait presque chaud. Mais t’imagine l’hiver, avec leurs jupes à ras le bonbon et leurs seins quasiment à l’air, elles doivent en baver. Y a pas à dire, elles ont du cran !

Assis à la place passager, Roger opinait du chef.

- Quand tu penses que, dans le tas, il y en a qui ont des mômes ! Enfin, faut que tout le monde vive. Tout de même, la passe c’est pas donné !

- Ah bon, c’est arrivé à combien ?

- Je sais pas trop. Avec les nouveaux francs, je m’y perds un  peu, mais c’est comme tout le reste, ça ne va pas en diminuant.ardents28-1

Moi, à l’arrière, je regardais les filles, pas si jeunes que ça, qui faisaient le trottoir. J’observais leurs jupes fendues, leur façon de se déhancher en balançant leur petit sac à main, leurs talons hauts, leurs visages trop maquillés… Et je me sentais coupable de les regarder ainsi.

On a terminé par le bois de Boulogne où Roger nous a dit qu’il ne fallait pas se fier aux apparences, et aussi que c’était le lieu de rendez-vous pour des couples échangistes qui se faisaient des appels de phare, mais que lui, l’échangisme, il trouvait ça franchement dégueulasse et immoral. Moi, je trouvais l’idée plutôt séduisante mais je n’ai rien dit. J’ai pensé qu’entre mes week-ends avec Marcel et mes rencontres secrètes avec Tristan, j’étais moi aussi dans la plus grande immoralité et que c’était justement ça qui rendait la vie intéressante.

Je ne sais pas si c’est l’air de la capitale ou notre virée du côté des putains, mais, une fois au lit, Marcel était particulièrement en forme. J’ai eu droit à des caresses insolites et à des positions inédites. Je peux dire que j’ai été gâtée !

Ce soir, c’est le grand silence dans l’appartement. Je n’ai même pas allumé la radio. Jean est reparti pour deux mois. Vendredi soir, je l’ai accompagné à la gare avec ses deux grosses valises. Dans sa chambre, l’armoire est vide, le lit nu. Dès demain, il faudra que je m’habitue à ne plus le croiser dans le couloir, à dîner seule et à ne plus entendre sa musique. C’est un beau jeune homme pourtant, même s’il n’était pas mon neveu, jamais je n’aurais été attirée par lui. Il se confie trop, c’est un bavard. Alors que dès le premier jour, j’ai désiré Tristan. J’ai aussitôt ressenti presque physiquement sa solitude et son besoin d’amour. J’ai su aussi qu’il ne trahirait jamais notre secret. J’aime ses silences, son côté un peu taciturne, parfois boudeur sans être sinistre. Et puis, pourquoi le nier, j’aime son corps, surtout sa queue qui me rend folle.

 

En partant, Marcel a oublié « Miroir du Cyclisme », un magazine qui parle surtout du Tour de France. Moi, cette année, j’aimerais bien que ce soit Poulidor qui gagne, alors que Marcel me dit que c’est un perdant, aux courses de chevaux on appelle ça un tocard. Je voudrais bien le voir lui, Marcel, sur un vélo, avec tous les Pernod qu’il s’envoie et les petits cigarillos avec le café !   

Fin du chapitre 5

à suivre...    

ardents28-2        

Par michel koppera - Publié dans : Les ardents de la Rue du Bois-Soleil - Communauté : Fantasmes et écriture
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