Samedi 16 mai 2009 6 16 /05 /Mai /2009 09:22

Préambule. À la différence des textes précédents, l'écriture de cet épisode de la saga des "Baiser" fut pour moi source de souffrance. Alors que d'ordinaire, il me faut un ou deux jours au maximum pour achever mon texte, cette fois cela m'a pris 5 jours. Au début, l'écriture ne me posa pas de problème particulier, c'est arrivé à la moitié que j'ai commencé à ressentir une sorte de gêne, de malaise qui n'a fait que s'aggraver. Cependant, je sentais qu'il fallait que j'aille jusqu'au bout. C'est en écrivant la dernière phrase que j'ai enfin compris d'où venait ma souffrance. Il fallait que les choses soient dites afin que vous compreniez mieux ce que ce chapitre a de particulier. Je ne sais si vous ressentirez aussi cette souffrance...

Baiser dans un camping-car

 

Comme le disent les journalistes qui n’ont pas peur du ridicule, c’est le retour de la belle saison. Et, avec les beaux jours, les camping-cars sont de sortie sur les routes, comme les abeilles et les fourmis dans les jardins. Si vous regardez bien, vous constaterez que très souvent le conducteur est un sexagénaire bedonnant, cheveux gris et moustache à l’avenant, et que sa passagère a tout l’air de sa compagne légitime, ce qu’elle est effectivement. Car les adeptes du voyage en camping-car sont essentiellement des retraités. Je me suis souvent demandé pourquoi. Nos sociologues nous expliquent doctement que les seniors ont un pouvoir d’achat supérieur à la moyenne des Français, parce que leur résidence principale est payée et équipée, qu’ils n’ont plus d’enfants à charge. Comme en plus, ils disposent d’un temps libre quasiment illimité, le camping-car leur offrirait l’opportunité de voyager sans contrainte… J’ai des doutes.

Je croirais plutôt que les retraités achètent des camping-cars pour baiser, tout simplement.
 

Imaginez notre couple qui reste tranquillement à la maison. Après un interminable hiver de solitude, qu’advient-il aux premiers beaux jours ? Chaque week-end prolongé – ou pire encore, pour toutes les vacances scolaires - ils doivent accueillir leurs petits-enfants venus respirer l’air pur de la campagne chez Papy et Mamy, pendant que les parents vont s’éclater aux Baléares ou à Marrakech. Le coup est connu et les gosses insupportables ! La résidence secondaire au bord de la mer ou le chalet à la montagne ne mettent pas à l’abri de ces séjours intempestifs, bien au contraire. Pas plus que le mobil home. Si vous réfléchissez bien, le camping-car, c’est l’idéal : un jour ici, l’autre là ; trop exigu pour y vivre à l’aise à plus de deux personnes. Et, une fois sur les routes, comme Papy et Mamy n’ont pas de portable, ou feignent de ne pas savoir s’en servir, plus moyen de les retrouver pour leur refiler la garde de gamins bouffeurs de pizzas.

Il faut les comprendre. Pour baiser, les retraités ont besoin de temps. Plus question de tirer un coup à la sauvette, entre deux portes, entre la poire et le fromage.

La veille du départ, Papy a fait le plein de gasoil, d’eau douce et de Viagra. Mamy a puisé dans son stock de confit de canard en conserve, de confitures maison et ressorti quelques frivolités en dentelle du dernier tiroir de sa commode. Sur la route, les camping caristes sont comme les motards et les chauffeurs routiers, ils échangent entre eux des appels de phares et des signes kabbalistiques incompréhensibles pour le commun des automobilistes. Ils roulent tout le jour. Mamy nourrit régulièrement l’autoradio de cassettes de Michel Sardou, Papy suit sur Europe 1 le résultat des courses à Vincennes. Ils font halte pour quelques heures devant le viaduc de Millau ou au pied du Mont Saint Michel, le temps de faire des photos et de déjeuner en tête à tête tout en regardant les infos sur la mini télé du living à peine plus spacieux qu’une cage d’ascenseur. Ils échangent quelques considérations sur la météo, la beauté des paysages et la saveur des tomates. Ils ne parlent ni du passé, ni du futur. Ils vivent tout entiers dans le présent. Jusqu’au soir, ils sont irréprochables, scrupuleusement respectueux du code de la route et des convenances.

À la tombée de la nuit, les camping-cars se rassemblent dans des espèces de caravansérails sur bitume où ils se blottissent les uns contre les autres comme des bêtes de somme frileuses. Les vieux ont la réputation de se coucher de bonne heure : c’est juste, mais se coucher ne veut pas dire dormir. En effet, une fois les stores vénitiens baissés, les rideaux tirés, dans le chaleureux cocon de leur camping-car, les retraités s’adonnent sans retenue au plaisir. Elle ouvre le petit coffre où elle a rangé tous ses sex-toys commandés sur internet. Car, s’ils rechignent à utiliser leur portable, ils n’hésitent pas à s’offrir des gadgets dernière génération, des godes multifonction à télécommande, des trucs high-tech qui vibrent, vrillent, tournoient, ondulent, virevoltent, pistonnent, se trémoussent, frétillent et palpitent. Le sourire aux lèvres, elle observe l’effet grandissant du Viagra. Il prépare les gels super lubrifiants, à effet chauffant. Ils ont tout à portée de main : l’eau chaude, les boissons fraîches, les toilettes et la douche juste à côté. Il fait chaud. Elle porte une paire de bas résille, une nuisette vaporeuse, une petite culotte presque transparente ; il est nu, la bite en gloire. Elle a une très grosse chatte, un peu grisonnante ; il a le torse velu, les couilles lourdes et pendantes. Ils baisent longtemps, très lentement. Ils se prennent dans la kitchenette ou dans la mezzanine, sans fausse pudeur, avides de plaisir et de vie. Ils jouissent au ralenti, les mains jointes, en orgasmes prolongés et presque douloureux. Au petit matin, ils se réveillent un peu plus vieux, comme étonnés d’être encore vivants.

Ils ont repris la route et voilà près de dix minutes que je roule derrière leur camping-car qui se traîne dans les côtes, qui me bouche l’horizon mais que je ne me décide pas à doubler de peur de m’y reconnaître au volant.

 

© Michel Koppera, mai 2009   

 

Par michel koppera - Publié dans : inédits - Communauté : Fantasmes et écriture
Ecrire un commentaire - Voir les 2 commentaires
Retour à l'accueil

Commentaires

Arff... on plonge à fond dans les stéréotypes, sextoys, lubrifiants, dessous soi disant coquins, sans oublier le viagra de monsieur. Toujours de la mécanique pour se persuader que l'on est vivant en somme. De la mécanique qui fait peur lorsque l'on en prend conscience. Mais où est passé le désir de vivre !!?
Oui, on sent un malaise à cette lecture.
Et je suis bien contente de ne surtout pas ressembler à ça.
commentaire n° :1 posté par : Claire+Ogie le: 16/05/2009 à 10h27
Moi non plus, je n'ai pas du tout envie de leur ressembler. C'est justement ça qui m'a fait peur. Et pourtant, je me devais de l'écrire, même si c'est dur... mais promis, je ne recommencerai pas !
commentaire n° :2 posté par : michel koppera le: 16/05/2009 à 11h43

Présentation

Créer un Blog

Recherche

Calendrier

Novembre 2024
L M M J V S D
        1 2 3
4 5 6 7 8 9 10
11 12 13 14 15 16 17
18 19 20 21 22 23 24
25 26 27 28 29 30  
<< < > >>

Archives

Créer un blog sexy sur Erog la plateforme des blogs sexe - Contact - C.G.U. - Signaler un abus - Articles les plus commentés