Mercredi 8 juillet 2009 3 08 /07 /Juil /2009 18:35

Baiser dans la salle de bain

 

28 septembre 1930. Marguerite et Joseph rentrent du cinéma où ils sont allés voir Le Mystère de la chambre jaune  de Marcel L’Herbier. Marguerite s’attarde dans le cabinet de toilette contigu à leur chambre. Tout en se refaisant une beauté devant le petit miroir accroché au mur, elle fredonne Parlez-moi d’amour de Lucienne Boyer. Il n’y a pas encore l’eau courante, juste une table en bois avec une cuvette émaillée et un broc d’eau froide. Quand ils auront un peu d’argent de côté, ils s’offriront un tapis pour protéger le parquet et peut-être un tub pour la toilette du dimanche. Elle n’a pas entendu entrer Joseph. Il est derrière elle, tout près. Il a retroussé sa jupe et l’a prise comme ça, courbée devant le petit miroir accroché au mur. Joseph, n’a jamais été un sentimental, mais il n’y a dans ses gestes ni violence, ni quelconque mépris.

1er mai 1952. Simone et André ont défilé derrière la banderole de la CGT. Ils sont rentrés fourbus, poussiéreux comme si on les avait saupoudrés de sucre glace. L’occasion ou jamais d’inaugurer la toute nouvelle salle de bains qu’André vient de bricoler. Il a recouvert le vieux parquet de linoléum, installé un bidet et une douche en plus du lavabo. À califourchon sur le bidet, Simone toute nue chantonne Ma p’tite folie de Line Renaud et se rince délicatement la chatte. André la regarde et il bande. Alors, ils baisent debout sous la douche, dans la brume épaisse de la vapeur d’eau. Le petit chauffe-eau ronronne au butane. Ils se font mousser au savon de Marseille. Simone a la bouche et le vagin sirupeux. André a la bite combative. Ils jouissent ensemble, en militants solidaires. Ce soir, ils iront au cinéma, il paraît qu’on y passe Quo vadis. Ce n’est pas vraiment révolutionnaire, mais peu importe…

16 août 1971. Chantal et Alain sont rentrés complètement défoncés. Ils ont pris un trip d’acide et fumé de l’afghan pour la descente. Alain n’arrête pas de chanter en sourdine Till the morning comes de Neil Young. Chantal s’est fait faire des tresses et parle de partir vivre en communauté sur le plateau du Larzac. Hier soir, au cinéma, ils sont allés voir Max et les ferrailleurs de Caude Sautet et depuis Alain pense sans cesse à Romy Schneider. Dans la salle de bain au sol entièrement recouvert de moquette mauve, Chantal s’est mise à poil. Elle se contemple le visage en trois dimensions devant l’armoire de toilette murale dont le triptyque des miroirs éclairés au néon lui renvoie le triple reflet de sa jeunesse. La baignoire se remplit d’eau chaude et de mousse, l’épaisse moquette est douce sous les pieds. Alain est entré lui aussi. Il a vu l’intégrale nudité de Chantal, ses seins que rien ne retient, sa touffe abondante, sa chevelure tressée. Sur le plateau de la chaîne hifi tourne Stairway to heaven de Led Zeppelin. Ils baisent comme des malades au bord de la baignoire. Il lui lâche tout au fond du vagin : rien à craindre, elle prend la pilule. Après, elle se calme la vulve à l’eau tiède au robinet mitigeur de la douche. 

3 octobre 1990. Laetitia et Anthony écoutent la pluie qui fouette la fenêtre de la salle de bain. Dehors, c’est déjà l’automne. Tout juste sorti de la baignoire, il prend un grand drap de bain 100% coton sur le sèche-serviettes chauffant qu’ils ont fait installer contre le mur. Laetitia est en peignoir. Elle est toute nue là-dessous. La mélodie de Une femme avec une femme du groupe Meccano lui trotte dans la tête. Elle se regarde dans l’immense miroir mural éclairé par une rampe de spots, au-dessus de la vasque d’un blanc immaculé. Pour leur soirée cinéma, ils hésitent : elle aimerait aller voir Les liaisons dangereuses de Stephen Frears, il préférerait Nikita de Luc Besson. Ils se chamaillent un peu, histoire de s’exciter. Alors, en attendant de se mettre d’accord, ils baisent. Elle, assise sur le meuble de la salle de bain, les fesses bien calées entre la vasque et la haute étagère à serviette, le peignoir dénoué sur son intégrale nudité ; lui, debout entre ses cuisses ouvertes, la bite à bonne hauteur, comme si tout avait été calculé pour. La tête penchée, front contre front, ils observent attentivement leurs sexes qui s’emboîtent parfaitement. Ils se connaissent, ils l’ont fait tant de fois. Elle se prend pour Glenn Close, finalement il se verrait bien en Valmont…

31 décembre 2008. Vanessa se prépare dans la salle de bain. Je l’entends qui chante Tess me dit veux-tu m’embrasser, Tess me dit pourquoi me regardes-tu, j’ai une épine dans le cœur*… La nuit vient de tomber. Ce soir on ira faire la fête avec des copains. Tess me dit il est plus tard que tu ne penses… Je sais qu’elle m’attend. Je la trouve debout devant le miroir, en string rose et bas noirs. Je ne vois que ses fesses blanches, délicieusement rondes. Je vais regarder la lune par-dessus ton épaule. Mon dieu, que tu es belle ainsi face à face avec le reflet de ton pubis rebondi, du petit cratère de ton nombril, des aréoles sombres de tes seins laiteux et de ton visage qui me regarde et me sourit gravement… Crois-tu que je m’en sortirais si je te tournais le dos… Oui, ma compagne chérie, laissons couler l’eau de notre baignoire à remous bouillonnants et baisons dans notre salle de bain qui est notre pièce à vivre d’amour et d’eau chaude.

 

* Paroles extraites de la chanson « Tess » de Raphaël, album : je sais que la terre est plate

 

© Michel Koppera, juillet 2009

 

     

Par michel koppera - Publié dans : inédits - Communauté : Fantasmes et écriture
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