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Boris VIAN : CHATTERIE
Aux Scorpions
Ce poème est encore extrait du recueil "Cantilènes en gelée"
Quand j’avais douze ans, on descendait
Tous en bande vers la Pointe-à-Pitre
On cueillait des sapotes et des mombins
Sur le bord de la route jaune
Et les oiseaux jouaient à chat perché
En criant des vieux airs créoles
La vie était en forme de dragée
Il n’y avait rien que de très doux
Et, tout de même, plein de substance…
Ma nourrice me prenait dans ses bras
À douze ans j’étais aussi grand qu’elle
Mais j’aimais encore tenir dans ma bouche
La pointe ronde et noire de ses beaux seins lourds
Nous nous étendions derrière les cannes
Le vent bruissait parmi leurs feuilles longues
Aiguës et poudrées de soie rêche
Ma nourrice était toujours nue
Et moi, toujours déshabillé
Aussi, nous nous entendions bien
Elle avait une odeur sauvage
Et des dents blanches plein la figure
La terre sentait l’orbenipellule
Et les fleurs de Kongo brûlant
Nous recouvraient de leur pollen orangé.
Pendant trois saisons, j’ai eu douze ans
Parce que j’aimais tant ma nourrice
Je ne pouvais pas la quitter
Ma peau prenait des reflets bruns
Brûlée au soleil de la sienne
Je la touchais avec toutes mes mains ensemble
Les mains de mes yeux, celles de mon corps
Et nos membres fumaient dans l’air veine de noir.
Je ne sais comment deux allumettes
Peuvent s’emmêler, mais je sais
Que nous étions bien droits l’un contre l’autre
Comme deux allumettes ; et au bout d’un instant
Un chat n’y aurait pas retrouvé ses petits…
D’ailleurs
Il savait bien que ses petits n’étaient pas là.
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