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Françoise REY, Marcel Facteur , 1997
Extrait page 23 de l’édition Pocket de août 2009.
Un jour, au cabinet, tu connais une exaltation plus terrible encore que de coutume. Tu es là, dans ton recoin obscure dont les remugles te bercent, et dehors, on s’agite, presque sous tes yeux. Tes frères chargent leur voiture, ils s’apprêtent à un voyage. Tu suis leurs allées et venues d’un regard discontinu, posé alternativement sur les pages de ta revue. Tu passes sans transition des splendeurs de la chair aux mesquines péripéties des préparatifs fraternels. La famille est réunie pour conseiller et commenter… On t’a oublié. On t’ignore. De te savoir si près d’eux et, en même temps, si invisible, si protégé, te bouleverse. Tes doigts sur ta queue deviennent fous, plus rapidement que de coutume ; leur frénésie t’étonne d’abord et te déplaît. Ils vont trop vite et trop fort, ils gâchent la montée de la joie, sa gestion délicatement équilibrée au fil des pages. Et puis tu t’abandonnes à leur autorité, sans force pour lutter, dépassé, submergé par leur savoir. Ils turlupinent ta queue avec une célérité démente, tu sens en toi la naissance d’une vague terrible, qui va t’engloutir, tes doigts serrent, lâchent, serrent, lâchent la peau de ta bite furieusement, on dirait du morse, un message échevelé, un appel de détresse, un SOS de plus en plus urgent, c’est sûr, tu es en perdition, il va t’arriver quelque chose d’abominable, de terrifique !!! Ça y est ! C’est arrivé, tu viens de lâcher un jet blanc, en voilà un autre, un autre encore, tu pisses du lait concentré, ta main mouillée, ta cuisse engluée, ta bite émerveillée, ta bouche tordus, ton cœur chambardé, ton ventre incandescent, tes reins bienheureux, tes couilles béates, ton cri retenu, ton souffle suspendu… Tu as joui, tu as juté, ça s’appelle comme ça, c’est ainsi qu’ils disent, les autres, les grands, et, mon dieu, mon dieu, tu es un enfant perdu, un horrible salaud, la bouillie crachée va germer, tu sais qu’on en fabrique des bébés, tu t’es engrossé tout seul, pauvre Marcel, si honteux, si sale, si hagard, si ébloui, si accablé de plaisir… Plus jamais ! Plus jamais ! Si tu en réchappes, si tu survis, si ta turpitude demeure secrète, c’est juré, plus jamais tu ne recommenceras !
Deux heures après, l’infect cabanon te revoit pantelant, torturé de joie, habité de terreur, et sitôt libéré, priant : « Mon dieu, c’est trop bon, ne me punissez pas !... » Et toutes les nuits et tous les jours suivants, partout, à la grange, dans ton lit, dans les chiottes de l’école, l’incroyable fièvre t’envahit, te secoue, te harcèle, te vide pour te reprendre encore… Tu as quinze ans. L’obsession du plaisir et sa quête effrénée se sont définitivement emparées de toi. De la chimère, tu es passé à son semi-accomplissement : Marcel rêveur vient d’être promu Marcel branleur.
Curieusement, les filles disparaissent de ton horizon. Tu n’es plus amoureux. Les secousses que tu t’octroies monopolisent tes espérances. Tu es devenu un consommateur acharné de dessins érotiques, d’images lascives, de scenari cochons.