Lundi 10 novembre 2014 1 10 /11 /Nov /2014 09:26

Günter GRASS, « le Turbot » (1977)

Roman paru aux éditions du Seuil en 1979 pour la version française

534 pages. Traduit de l’allemand par Jean Amsler

 extrait n° 2. pages 194-195. Au début du XVIème siècle, Margarete Rusch, dite Gret-la-Grosse, cuisinière et mère-abbesse d’un couvent éduque et conseille ses jeunes nonnes.

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turbot2-4 « En  période troublée – partout moinillons et nonnettes se sauvaient de leurs couvents pour aller se faire tanner le cuir dans le siècle – il était souvent malaisé de lier les pieuses filles à leurs vœux solennels : elles frétillaient, guettaient la sortie, voulaient avoir un mari portant culotte, être épousées, mettre bas des kyrielles d’enfants et, tout en pétant dans le velours et la soie, s’échiner à suivre la mode.

Donc l’abbesse, tandis que la bouillie de mil  diminuait sur la table, contait, à ses moniales de qui chatouillait l’arrière-train, ce qu’est la vie et combien promptement elle s’émiette. Elle énumérait les libertés conventuelles et mettait en balance les pénibles devoirs du mariage. Des crêpes de sarrasin farcies de lard et d’épinards se dégustaient déjà le long de la table sur deux rangs quand l’abbesse, utilisant à cette fin les carottes cuites à point qu’il y avait en guise de garniture dans du beurre au persil, expliquait la consistance masculine à son troupeau de femelles en chaleur. L’exemple choisi faisait de cent manières tomber sous le sens tout ce que l’homme peut faire. Sa pénétration en profondeur et sa constitution bulbeuse. Sa si précoce déconfiture et sa misérable débandade. Combien il devient grossier quand l’envie lui manque. De quel médiocre profit est pour les dames l’amène-toi-que-je-te-saute. Comme quoi ce qu’il veut c’est d’abord des enfants et des fils tout d’abord. Quelle n’est pas sa hâte à chercher l’alternance dans les draps d’autrui. Comme quoi son épouse en revanche n’a pas le droit de chasser l’andouille volante. Et la main lourde qu’il a. Avec quelle abrupte rapidité il retire sa faveur et se fait cuire à point la carotte et dégauchir le panais en ville, histoire d’essuyer son coupe-choux.turbot2-2

Mais comme les religieuses et spécialement les novices n’arrêtaient pas de roquer sur leurs escabeaux et entendaient voir dans les carottes au beurre la promesse de plus dures et durables surprises, l’abbesse leur donna licence de recevoir désormais des visites par la porte de derrière du couvent, et voire de papillonner librement extra muros, histoire de mettre en pratique les appétits charnels et d’apprendre de la sorte à d’autant mieux résister à des promesses d’établissement bourgeois.

Avant d’ôter la table et de conclure par l’habituelle oraison, l’abbesse donna encore tel ou tel conseil : que jamais chamailleries touchant une braguette ne vinssent troubler la paix conventuelle. Qu’elles restent toujours comme sœurs. Ce n’était pas leur affaire que de garder l’immobilité. Il fallait à propos, tant à hue qu’à dia, jouer du serre-croupières. La reconnaissance de l’homme devait s’équilibrer en argent monnayé. Et jamais, mais réellement jamais, l’amour, ce sentiment plaintif, ne devait s’emparer d’elles."

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Par michel koppera - Publié dans : lectures x - Communauté : Fantasmes et écriture
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