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Leila Slimani, "Le pays des autres", première partie : "La guerre, la guerre, la guerre" (366 pages)
Roman paru aux Éditions Gallimard, collection NRF en 2020.
Page 21 :Mathilde, jeune fille alsacienne se souvient de ses nuits sous les bombes pendant la seconde guerre mondiale.
" Pendant la guerre, les soirs de désolation et de tristesse, Mathilde se faisait jouir dans le lit glacé de sa chambre à l'étage. Lorsque retentissait l'alarme qui annonçait les bombes, quand commençait à se faire entrendre le vrombissement d'un avion, Mathilde courait, non pas pour sa survie, mais pour assouvir son désir. À chaque fois qu'elle avait peur, elle montait dans sa chambre dont la porte ne fermait pas mais elle se fichait bien que quelqu'un la surprenne. De toute façon les autres aimaient rester groupés dans les trous ou dans les sous-sols, ils voulaient mourir ensemble, comme des bêtes. Elle s'allongeait sur son lit, et jouir était le seul moyen de calmer la peur, de la contrôler, de prendre le pouvoir sur la guerre. Allongée sur les draps sales, elle pensait aux hommes qui partout traversaient des plaines, armés de fusils, des hommes privés de femmes comme elle était privée d'homme. Et tandis qu'elle appuyait sur son sexe, elle se figurait l'immensité de ce désir inassouvi, cette faim d'amour et de possession qui avait saisi la terre entière. L'idée de cette lubricité infinie la plongeait dans un état d'extase. Elle jetait la tête en arrière et, les yeux révulsés, elle imaginait des légions d'hommes venir à elle, la prendre, la remercier. Pour elle, peur et plaisir se confondaient et dans ces moments de danger, sa première pensée était toujours celle-là."
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