Lundi 10 octobre 2016 1 10 /10 /Oct /2016 08:00

"Les ardents de la rue du Bois-Soleil" # 5

Dès le lundi suivant, au retour du lycée, je présentai Jean à maman. Malgré notre année de différence, nous étions sensiblement de même taille et de même corpulence, lui brun, moi châtain. Maman nous avait préparé le goûter avec des gâteaux et du jus de fruits. Tout sourire, elle se livra sur Jean à une sorte d’interrogatoire suspicieux, presque policier. Tout y passa : sa famille, ses loisirs, ses lectures, ses résultats scolaires, ses projets d’avenir... Jean répondit à tout avec patience et politesse. Sa curiosité assouvie, maman se laissa convaincre : notre porte lui était désormais ouverte. Sans doute, pourrions-nous travailler ensemble après les cours, aller le jeudi à la plage à la belle saison, faire une sortie au cinéma le mercredi soir, mais avant de décider de quoi que ce soit, il fallait que maman en parle à la tante de Jean.

La rencontre eut lieu trois jours plus tard, le jeudi 28 novembre 1963, dans notre appartement du premier étage, au 51 de la rue Barbey d’Aurévilly. Jean et sa tante arrivèrent vers seize heures. Etrangement, à l’exception de ses yeux noisette et de sa chevelure très sombre, je ne garde pas de souvenir précis du visage de la tante de Jean ce jour-là. Mais, vingt ans après, j’ai encore en mémoire le timbre et la douceur de sa voix – elle parlait très lentement comme si elle cherchait à chaque fois le mot juste. Je revois aussi la finesse de ses mains où quelques veines en relief couraient sous la peau très blanche et les bottines noires à talons qu’elle avait mises pour nous rendre visite. On la fit entrer au salon dont maman n’ouvrait la porte que dans les grandes occasions. Elles burent du café, grignotèrent des Petits LU et parlèrent du monde comme il va… Elles se comprenaient. J’entendis la tante de Jean dire à ma mère qu’elle pouvait l’appeler Geneviève. En retour, maman lui précisa qu’elle se prénommait Yvonne  et qu’elles pourraient sans doute se tutoyer.  Elles étaient assises côte à côte sur le canapé, très droites, presque sévères.

- Tristan, tu devrais aller montrer ta chambre à Jean ! dit ma mère.

C’était une façon élégante de nous mettre dehors : elles avaient à parler entre femmes !

ardents8-1Avec Jean, nous restâmes seuls plus d’une heure à écouter des disques – je venais d’acheter mon premier 45 tours des Beatles,  I want to hold your hand  – et à parler sport : comment le titre de champion de France de football avait-il pu échapper à Reims ? Qui serait capable de battre Anquetil dans le prochain Tour de France ? Tout ça avant d’en arriver au seul sujet intéressant, les filles : les filles de la classe, toutes un peu nunuches, sauf peut-être Evelyne Bitard mais qui était vraiment trop pimbêche ; les filles de terminale, super belles, mais déjà trop grandes et qui, en plus, avaient  presque toutes un petit copain attitré ; les filles des magazines dont on pouvait tout imaginer ; les filles de l’été, en maillot sur le sable, encore plus inaccessibles malgré leur peau bronzée ; les filles croisées ou suivies dans la rue qui pressaient le pas sans se retourner ; les filles à côté de qui on s’asseyait au cinéma et avec qui on partageait pendant deux heures un accoudoir en velours rouge ; les filles qui fumaient des cigarettes à bout filtre dans les bars près du port…

Nous en étions à dresser le portrait de la fille idéale lorsque ma mère vint mettre un terme à nos fantasmes.ardents8-2

- Tristan, il y a Geneviève… je veux dire la tante de Jean qui se propose de te tricoter un pull-over. Viens par ici qu’elle prenne tes mesures !

Et me voilà planté au milieu du salon, les bras stupidement écartés du corps, transformé en chiffres : tour de tête pour l’encolure, largeur d’épaules, tour de poitrine, longueur des bras pour les manches, hauteur des aisselles aux hanches, tour de taille…

J’avais en horreur ces séances d’anthropométrie couturière. J’avais l’impression d’être quasiment nu, comme pour la visite médicale obligatoire au lycée, quand on nous examinait la dentition, le fond de la gorge et des oreilles, avant que le médecin en blouse blanche nous baisse promptement le slip pour nous tâter les testicules. Rien de plus humiliant ! Presque autant que la grande toilette hebdomadaire d’avant les poils, quand maman elle-même me savonnait énergiquement l’entrecuisses et le « petit robinet »…

  Le mètre ruban glisse autour de mon cou comme un serpent glacé, les doigts légers de Geneviève m’effleurent la nuque ; j’ai un frisson qui me parcourt l’échine.

Un crayon à la main, maman prenait note de mes mensurations sur un petit carnet.

- A-t-il une couleur préférée ? lui demanda Geneviève.

- D’habitude, il aime bien le bleu, mais pour une fois il pourrait changer. Rouge, ce serait pas mal… Pas rouge vif, mais plutôt bordeaux… Qu’est-ce que tu en penses, Tristan ?

Je haussai les épaules.

- Comme tu veux.

Tout cela me paraissait sans importance. Je pensais surtout que la semaine suivante, au cinéma le Rex, ils passeraient Les Tontons Flingueurs  et que j’avais bien l’intention d’y aller avec Jean.

à suivre...

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Par michel koppera - Publié dans : Les ardents de la Rue du Bois-Soleil - Communauté : Fantasmes et écriture
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