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L'an dernier, j'ai entretrenu une correspondance sur le mode questions-réponses avec Sophie-la-Belle. De cette relation épistolaire est née cette courte nouvelle en trois chapitres qui s'appuie sur les désirs inavoués et fantasmes de Sophie.
Les bonheurs de Sophie, chapitre 1
(les 3 illustrations de ce chapitre sont de Tom Poulton)
Elle s'appelait Sophie. C'était ainsi qu'on la nommait, comme on nomme un objet de la vie quotidienne, un ustensile de cuisine par exemple. Par commodité. Elle aurait très bien pu s'appeler Carole ou Marie, cela n'aurait pas changé grand-chose. Elle ne fut qu'un nourrisson parmi d'autres, puis une enfant, une adolescente, une jeune femme parmi d'autres. Elle n'avait pas de vie, juste une existence. On ne peut pas dire qu'elle était malheureuse : elle était toujours correctement habillée, suffisamment nourrie et plutôt bonne élève... Elle souriait quand il le fallait, n'ouvrait la bouche que pour répondre aux questions, et comme on ne lui posait que rarement des questions, elle gardait le silence. Alors, elle passait pour sage et raisonnable. Dans sa famille, on confondait l'être et le paraître, on en se mettait jamais à nu, ni le corps, ni le cœur. Oh, ce corps ! Cette écorce charnelle qu'on lui avait appris à ne pas aimer, à ne pas montrer, à ne pas regarder, à toucher le moins possible. Dans sa treizième année, les poils avaient commencé à pousser. Comment les ignorer, il y en avait partout ! Sous les aisselles, sur les jambes et surtout au bas du ventre. Des poils noirs, épais. Elle en avait honte. Et puis, cette même année, il y eut le sang qui coula de son sexe, de cette blessure dont elle ignorait tout, qu'elle ne touchait jamais. Le sang se tarit dans l'attente de la lune prochaine...
Ainsi exista Sophie jusqu'à l'âge de vingt-six ans.
Elle n'oublierait jamais la date : c'était un samedi soir d'hiver. Elle se préparait à une soirée télé quand une collègue de bureau vint sonner à la porte de son petit appartement lyonnais.
- Salut ! Je te dérange pas ? Y'a Denis qui fête ses trente ans. Tu viens ? C'est lui qui m'a demandé de passer te prendre. Je t'emmène !
Sophie n'était pas prête. D'habitude, avant chaque sortie en public, elle se rasait les jambes et les aisselles. Prise au dépourvu mais flattée qu'on ait pensé à elle, Sophie enfila en toute hâte un pantalon noir et un pull-over, se donna un coup de peigne, fourra quelques babioles dans son sac à main et suivit Sonia qui dévalait déjà les escaliers.
Soirée sans surprise : boissons, amuse-gueules, gâteau à bougies, applaudissements, paquets cadeaux, musique et encore alcool... Sophie était de la fête. Vers deux heures du matin, au premier slow, on l'a invitée à danser. Il la tenait pas les hanches, il sentait bon. Elle n'osa pas regarder son visage. Il lui glissa à l'oreille qu'il était un cousin de Denis. Et elle ?
À la fin du slow, il l'invita à partager un verre, lui présenta des copains et ne la quitta plus. À l'aube, quand elle manifesta le désir de rentrer, il lui proposa de la raccompagner. Ça tombait bien, Sonia était introuvable ! En route, ils ne se dirent rien. Sur le parking, au pied de l'immeuble, elle l'invita à monter prendre un café. Il la suivit dans les escaliers. Elle avait à peine refermé la porte de son appartement qu'il l'enlaçait, l'embrassait à pleine bouche, glissait une main sous son pull... Dès qu'il posa les doigts sur sa peau nue, elle sentit une onde de chaleur traverser son ventre et un flot de mouillure tremper l'empiècement de sa culotte de coton. Après un court moment de panique, elle comprit que ce n'était pas le flux de ses règles, mais un écoulement nouveau, aussi chaud mais plus onctueux et infiniment agréable, qui faisait naître une sensation jusque-là inconnue dont elle ne savait pas encore qu'elle se nommait désir. À partir de là, Sophie se souvient de chaque geste, de chaque mot, de chaque instant... Le canapé est tout proche. Ils s'y vautrent. Elle sent encore les doigts maladroits qui dégrafent son soutien-gorge, qui débouclent sa ceinture, de ses seins nus, du pantalon qui glisse le long de ses cuisses, de sa petite culotte qui suit le même chemin... et des premiers mots d'amour qu'il dit à voix basse alors qu'elle est allongée nue devant lui, les cuisses ouvertes.
- Bon dieu, ce que tu es belle !
Belle ! Belles les touffes sous ses aisselles ? Belles ses jambes habillées de poils ? Beau son ventre au triangle velu ? Et pourtant, il est là, à genoux entre ses jambes ouvertes. Elle le regarde furtivement : il a baissé son pantalon et il bande ! C'est la première fois qu'elle voit vraiment le sexe d'un homme... Mais déjà, il se penche vers elle, avance son visage entre ses cuisses. Telle une ventouse, sa bouche se pose sur son sexe, au cœur de son buisson ardent. Elle en ruisselle de bonheur. Les lèvres de l'homme embrassent sa vulve, sa langue se glisse dans les replis de son intimité puis, chargée de mouillure, remonte un peu plus haut, lèche une première fois son clitoris. Malgré elle, Sophie gémit. Jamais on ne l'a touchée là, jamais elle ne s'est caressée là ! Le plaisir est si soudain et inattendu qu'elle en oublie la honte et l'angoisse. Elle sait qu'elle ne lui refusera rien, qu'elle lui appartient. La langue et les lèvres de l'homme poursuivent leur œuvre de bienfaisance, et Sophie jouit, enfin... À vingt-six ans, par un petit matin pâle d'hiver, Sophie est devenue Sophie-la-Belle.
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