Mardi 3 mai 2022 2 03 /05 /Mai /2022 08:00

"La plus secrète mémoire des hommes" est un somptueux roman de 457 pages paru en 2021 aux Editions Philippe Rey/ Jimsaan et couronné par le prix Goncourt.

Extrait pages 380-381 : Diegane, le narrateur, se souvient de sa nuit précédente aux côtés de son amie Aïda

" Il n'y a pas de calme avant la tempête.

Hier soir, pendant que nous faisions l'amour, j'ai regardé à l'intérieur d'une gouttelette qui coulait le long du corps d'Aïda. J'étais en-dessous d'elle. Je cherchais son visage, mais sa position le dérobait à mes yeux. La vigueur de la cavalcade tendait avec brutalité son buste, et je voyais nettement l'arc sensuel de son dos. Ses longs cheveux me flattaient les cuisses et lui caressaient la naissance des fesses, le bas du dos. Dans cette tension, je distinguai ses côtes, les plissures de son abdomen, le dessin de sa cage thoracique, les deux coupoles de ses seins. Entre des deux dunes de chair, son menton s'avançait comme une petite pyramide. C'est là, à la pointe du menton, qu'apparut la goutte.

Elle glissa lentement et ressembla bientôt à une petite stalactite accrochée à la paroi du menton. J'attendis avec anxiété qu'elle en tombât. Un mouvement des reins plus intense d'Aïda la précipita sur sa gorge, et son odyssée sur ce corps commença. Quand elle s'engagea entre les deux seins, je commençai à discerner à l'intérieur d'elle, comme dans l'orbe d'une voyante, de confuses visions. Un homme suivait une femme dans la rue où ils étaient seuls ; et l'homme l'appelait, mais la femme ne se retournait pas, sans que je sache si elle l'ignorait ou ne l'entendait pas.

La goutte passa le plexus. Je vis l'homme courir, lentement d'abord, de plus en  plus vite ensuite, vers la femme. L'homme, en courant, en continuant à crier, dans le silence de la rue, le nom de la silhouette qui ne semblait toujours pas l'entendre ou se décider à lui répondre, se mit à pleurer, et cette scène était si désespérée, elle me rendait si triste, que je crus un instant que j'allais pleurer aussi, et l'aurais fait si je ne m'étais pas secoué et retenu.

Le nombril approchait maintenant après que la goutte venait de traverser une forêt de grains de beauté sur l'abdomen d'Aïda, dont les mouvements devinrent plus patients, longs, précis, vitaux, ce qui, je le savais, annonçait toujours chez elle la jouissance. Je sentais les lents spasmes de son sexe autour de ma verge, et la crue grossissant en elle, et l'étoile blanche en elle qui allait bientôt exploser et éclabousser l'univers jusqu'en ses confins inconnus. Dans la goutte, dans la rue, la femme se retourna enfin, et son visage était beau, bien qu'elle parût surprise de voir cet homme qui courait derrière elle en criant son nom. L'homme arrivait presque à hauteur de la femme. Mais au lieu de ralentir pour s'arrêter, il continua à courir et à crier le nom d'une femme.

La goutte passa de très près au bord du gouffre du nombril mais n'y tomba pas. Elle glissait désormais vers le pubis. Aïda se pencha vers l'avant et ramena la tête près de mon visage, que recouvrit la masse brune de ses cheveux. Son corps se crispa dans une brutale contraction, elle colla son front au mien, ses mains se joignirent sous ma nuque, la serrèrent, et le cri qui jaillit non de sa gorge, non de sa bouche, non de sa poitrine ou de son ventre, mais d'elle tout entière, s'accompagna d'un souffle qui me rappelait que j'étais et serais à jamais exclu de le comprendre, mais seulement admis à former son cortège ou son ombre."

mm sarr memoire des hommes

Par michel koppera - Publié dans : lectures x - Communauté : Fantasmes et écriture
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