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Nicole AVRIL, La disgrâce, Éditions Albin Michel, 1981
En Charente Maritime, dans leur propriété de la Prée, non loin de La Rochelle, la jeune Isabelle surprend sa mère, dans une grange, avec Vincent, un jeune homme dont elle est secrètement amoureuse
« - Est-ce possible, est-ce possible que cela existe encore ? interrogeait sa mère. Je croyais que jamais plus, non jamais plus… C’est possible, oui, je me croyais morte, je …
Des exclamations, des demi-mots, des syllabes sans suite, des plaintes et enfin un bruit mou qu’Isabelle reconnut avec certitude, le bruit de vêtements tombant à terre. Maintenant ils devaient être nus, ils étaient nus, nus comme dans les films, et la chaleur n’y était pour rien, ni la proximité de la mer. Non, ils ne courraient pas se baigner, elle n’était pas assez sotte pour le croire et elle aimait trop Vincent pour ne pas deviner que ce qu’elle-même désirait, c’était sa mère qui allait l’obtenir. Sa mère toute nue, si belle, plus belle que les dames des magazines, toute dorée et fine et lisse, toute longue et tendre, toute brune et digne et obscène, soufflant comme un cheval qui se cabre, collant sa bouche à celle de Vincent (…)
Comme tu es bonne, disait Vincent et Isabelle écoutait… Pourquoi disait-il : tu es bonne ? N’était-il pas d’usage de parler de la belle Mme Martineau-Gouly ? De la belle, non de la bonne Mme Martineau-Gouly. Jusqu’à ton cœur, j’irais bien jusqu’à ton cœur, ajoutait-il. Ces mots, tandis qu’ils faisaient mal à Isabelle, lui donnaient aussi le sentiment d’assister, captive dans son trou d’ombre et presque ensorcelée, à un mystère inouï où la jouissance et la douleur se mêlaient au point qu’elle n’aurait su dire si elle souhaitait qu’on mît tout aussitôt un terme à son supplice ou qu’au contraire il se prolongeât. (…)
- Bouffe-moi, dit soudain Mme Martineau-Gouly, la belle Mme Martineau-Gouly.
Un cri. C’était presque un cri. Rauque et pourtant éclatant. Était-ce vraiment sa mère qui avait prononcé ces mots ? Isabelle avait à peine reconnu sa voix. Comme dans les films d’épouvante, on eût dit qu’un esprit malin s’était glissé dans le corps de sa mère et parlait par sa bouche. Comme l’amour pouvait-il métamorphoser une femme douce en un monstre ? À l’horreur qu’éprouvait Isabelle s’ajouta alors une sorte d’exaltation qui lui fit soudain espérer le pire, c’est-à-dire que sa mère ne ressemblât plus à sa mère, et que par d’autres cris encore plus terrifiants et par des actes encore plus insensés, elle trahît de manière certaine la transformation qui s’était opéré en elle.
Le désir d’Isabelle fut satisfait au-delà de toute espérance, car la belle Mme Martineau-Gouly, de cette vois qui n’appartenait plus à la reine de la Prée, mais plutôt à une créature sortie des cauchemars de sa fille, prononça bien des mots qu’elle n’avait point coutume d’utiliser en société et même en famille. Le plus étrange encore était que Vincent habituellement plus libre qu’elle dans son langage, plus exubérant et fantasque dans es gestes ne la suivît que de très loin sur ce terrain-là. (…) Isabelle risqua un œil hors de sa cachette. Elle ne vit que deux corps nus, farouchement emmêlés, que deux êtres si parfaitement occupés d’eux-mêmes qu’elle aurait pu, à cet instant-là, si elle en avait eu le courage, sortir de son trou et traverser calmement la pièce sans que le couple desserrât son étreinte, sans même qu’il s’aperçut de sa présence. Pour eux, elle n’existait pas… »
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