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Virginie Despentes, Baise-moi
Editions Grasset, 1999
Chapitre premier.
« Assise en tailleur face à l’écran, Nadine appuie sur « Avance rapide » pour passer le générique. C’est un vieux modèle de magnétoscope, sans télécommande.
À l’écran, une grosse blonde est ligotée à une roue, tête en bas. Gros plan sur son visage congestionné, elle transpire abondamment sous le fond de teint. Un mec à lunettes la branle énergiquement avec le manche de son martinet. Il la traite de grosse chienne lubrique, elle glousse.
Tous les acteurs du film ont des faciès de commerçants du quartier. Le charme déconcertant d’un certain cinéma allemand.
Une voix off de femme rugit : « Et maintenant, salope, pisse tout ce que tu sais. » L’urine sort en joyeux feu d’artifice. La voix off permet à l’homme d’en profiter, il se précipite sur le jet avec avidité. Il jette quelques coups d’œil éperdus à la caméra, se délecte de la pisse et s’exhibe avec entrain.
Scène suivante, la même fille se tient à quatre pattes et écarte soigneusement les deux globes blancs de son gros cul. Un type semblable au premier la bourre en silence.
La blonde a des minauderies de jeune première. Elle se lèche les lèvres avec gourmandise, fronce le nez et halète gentiment. La cellulite bouge par paquets en haut de ses cuisses. Elle s’est légèrement bavé sur le menton et on voit bien les boutons sous le maquillage. Une attitude de jeune fille dans un corps flasque.
À force de bouger son cul du plus convaincant qu’elle peut, elle parvient même à faire oublier son ventre, ses vergetures et sa sale gueule. Tour de force. Nadine allume une clope sans quitter l’écran du regard, impressionnée.
Changement de décors, une fille noire aux formes contenues et soulignées par une robe de cuir rouge rentre dans une allée d’immeuble. Se fait bloquer par un type cagoulé qui la menotte prestement à la rampe d’escalier. Puis il l’empoigne par les cheveux et la force à le sucer.
La porte d’entrée claque, Nadine grommelle un truc concernant « cette conne qui ne devait pas rentrer manger ». Au même moment, le type du film dit : « Tu verras, tu finiras par l’aimer ma queue, elles finissent toutes par l’aimer. »
Séverine hurle avant même de quitter sa veste.
- Encore en train de regarder tes saloperies.
Nadine répond sans se retourner :
- T’arrives pile au bon moment, le début t’aurait déroutée, mais même à toi cette négresse doit pouvoir plaire.
- Eteins ça tout de suite, tu sais bien que ça me dégoûte. (…)
Pendant ce temps, la black a effectivement pris goût au phallus du type. Elle le happe goulûment et fait bien voir sa langue. Il finit par lui éjaculer en travers de la gueule et elle le supplie de la prendre par le cul.
Séverine se poste à côté d’elle, évite scrupuleusement de regarder l’écran et passe dans les aigus crispants :
- T’es vraiment malade et tu finiras par me rendre malade.
Nadine demande :
- Tu pourrais aller à la cuisine, s’il te plaît ? Je préférerais me masturber devant la télé, ça me gonfle de toujours aller faire ça dans ma chambre. Remarque, tu peux rester si tu veux. (…)
Elle se laisse glisser au fond du fauteuil, se débarrasse de son pantalon et joue avec sa paume au-dessus du tissu de sa petite culotte. Elle regarde sa main bouger entre ses cuisses en cercles réguliers, accélère le mouvement et tend son bassin.
Elle relève les yeux sur l’écran, la fille penchée sur la rampe d’escalier secoue la tête de droite à gauche et son cul ondule pour venir engloutir le sexe du gardien. »