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" Les adieux", nouvelle inédite
Chapitre 8
- Non, laisse ! C’est moi qui t’invite.
D’un geste d’une surprenante vivacité, Cynthia venait de s’emparer de l’addition que le serveur avait imprudemment posée sur la table. Elle était enceinte jusqu’au bord des paupières légèrement bouffies par la fatigue et le poids de la grossesse. Pendant tout le repas, elle avait gardé le pied posé contre le mien ; entre chaque plat, elle m’avait pris la main. Maintenant qu’approchait l’heure, elle ne me lâchait plus, ni des doigts, ni des yeux.
- Attends, j’ai encore quelque chose à te demander.
Que je n’aimais pas ça !
- S’il te plaît, avant de partir là-bas, j’aimerais que tu me fasses un dernier cadeau…
- Tu me laisses choisir ?
- Non. Je te demande de me rendre les lettres que je t’ai envoyées, et aussi les photos que tu as prises de moi. Toutes les photos, tu me comprends ? Ecoute, ne me dis pas que tu ne les as pas gardées ! Je te connais, je suis sûre que tu as tout rangé dans une boîte, dans l’ordre chronologique. Je t’en prie, fais-moi plaisir !
- Mais pourquoi me demandes-tu ça ? Et pourquoi aujourd’hui ? De quoi as-tu peur ?
J’ai senti se relâcher l’étreinte de sa main. J’en ai profité pour me libérer et vider mon verre où stagnait encore un fond de bordeaux.
- Je t’écoute, pourquoi ?
Elle regardait par la fenêtre, vers le parking maintenant presque désert.
- Je vais me marier, la semaine prochaine. C’est pour le bébé, ce sera plus simple à sa naissance. Crois-moi, c’est purement administratif. Tu es fâché ?
- M’as-tu déjà vu en colère ? Mais pour les lettres et les photos, c’est non. Je les garde. Et toi, qu’est-ce que tu as fait des miennes ?
Elle haussa les épaules. Il y avait quelque chose de cassé. Soudain, elle m’apparut très laide, malgré sa peau cannelle, malgré les reflets cuivrés de ses cheveux, malgré tous nos souvenirs…
- Ce sera un garçon ou une fille ?
Elle répondit sans me regarder, les yeux sur les miettes de la nappe.
- Une fille. On voudrait l’appeler Camille. C’est joli, non ? Tu t’en vas déjà ?
Il était trop tard pour me retenir.
L’avion a décollé vers six heures du soir. J’étais venu seul, en train, avec une grosse valise et un sac de voyage. Dans la nuit, on a fait escale à Dubaï. À côté de moi, il y avait deux Norvégiens qui se rendaient dans les Emirats pour prendre le commandement d’un pétrolier. Ils ont libéré leurs sièges et j’ai pu dormir jusqu’au matin avec la rangée pour moi tout seul. Vitesse au sol, 973 km/h ; altitude, 33000 pieds ; température extérieure, -43° C.
Juste un transit d’une heure et demie à la Réunion, avant de prendre un autre avion, plus petit. On y parlait d’autres langues, les peaux s’étaient assombries… Ainsi commença une nouvelle vie.
FIN
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