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"Les ardents de la Rue du Bois-Soleil", # 20
Pour ma visite du dimanche après-midi, je m’étais mis sur mon trente et un. En plus d’une chemise à carreaux et d’un pantalon de tergal bleu marine, je m’étais parfumé à l’eau de Cologne Saint Michel et brossé les dents à l’Email Diamant – j’avais utilisé en cachette le tube de dentifrice de maman. Lorsque je croisai papa dans le couloir, il siffla entre ses dents :
- Eh bien, elle doit être bien jolie, la fille !
Il ne croyait pas si bien dire. En effet, en arrivant chez Geneviève, j’eus la surprise, d’abord très désagréable, de constater que je n’étais pas le seul visiteur dominical. Les parents de Jean avaient fait le voyage jusqu’à M** pour venir au chevet de leur fils. Geneviève fit les présentations : la maman, tout en rondeurs et amabilités ; le papa, plus bourru avec une poignée de main à me broyer les phalanges. Ils étaient au salon à boire du mousseux et à manger des boudoirs.
Dans la chambre de Jean, j’eus une seconde surprise : les parents étaient venus avec Sylvie, la cadette. Elle était assise au bord du lit, en chemisier blanc et jupe écossaise plissée. Elle portait aussi des escarpins noirs vernis et des chaussettes blanches qui lui montaient presque jusqu’aux genoux. Ce qui me frappa en premier, ce fut sa ressemblance avec sa tante Geneviève : mêmes cheveux noirs, mêmes yeux gris vert, même bouche voluptueuse. Certes le nez de Sylvie était plus fin et le visage plus rond, mais sinon, elles paraissaient mère et fille. On se fit la bise.
L’après-midi fut charmant. Sylvie était venue avec son Teppaz et des 45 tours. Si je me souviens bien, on écouta Johnny Halliday, les Chats Sauvages, les Beatles et Richard Antony. Sylvie avait quinze ans et terminait son année de troisième : elle allait passer le BEPC et venait de réussir l’écrit du concours d’entrée à l’Ecole Normale car elle désirait devenir institutrice. Il lui restait les épreuves orales qu’elle redoutait. Jean était visiblement ravi et fier. On en vint à évoquer les vacances d’été et à réfléchir comment on pourrait passer quelques journées ensemble à la plage. Je promis d’en parler à mes parents, Jean et Sylvie se chargeraient de convaincre leurs parents et surtout Geneviève. La partie n’était pas gagnée d’avance !
Je pus en juger au moment de mon départ lorsque Geneviève, le visage sombre, me raccompagna jusqu’à la porte d’entrée.
- Je suis désolée, me murmura-t-elle. Ces visiteurs n’étaient pas prévus au programme. Enfin, tu auras au moins pu goûter aux joies de ta génération ! Ce sera plus calme demain. Bonne soirée et bravo pour la chemise et l’eau de Cologne !
à suivre...
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