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"Les ardents de la Rue du Bois-Soleil", # 24
Vint l’heure de ma visite quotidienne à Jean. Il allait mieux et devait reprendre les cours dès le lendemain. La veille, appuyé sur une béquille, il marchait déjà dans l’appartement. Je n’avais pas vu Geneviève, de service jusqu’à la nuit selon les dires de Jean. Nous n’avions pas manqué de parler de sa sœur Sylvie et de notre projet de quelques jours de vacances ensemble. Je soupçonnai que Jean n’aurait pas vu d’un mauvais œil se nouer une amourette entre sa sœur et moi. À vrai dire, l’idée ne m’était pas non plus désagréable. D’ailleurs, dès la rentrée suivante, si elle échouait à l’oral de son concours, Sylvie nous rejoindrait sans doute au lycée, nous serions en quelque sorte ses protecteurs.
En fait, je n’avais jamais eu de petite amie, ni au collège, ni même à l’école primaire. Le monde des filles m’était totalement étranger, terra incognita ! J’avais eu des copains de foot, des voisins de classe ou de table à la cantine, des complices de plaisanteries douteuses envers les gens du quartier, du style pétard dans la boîte à lettres ou sonnerie intempestive à la porte d’entrée en pleine nuit, des camarades de parties de billes ou d’échanges de timbres exotiques, mais rien que des garçons !
Pour tout ce qui touchait à l’univers mystérieux des filles, Jean était de loin mon aîné. Outre que, pendant des années, il avait partagé sa douche du samedi soir avec sa sœur – il connaissait par cœur sa craquette comme elle avait été habituée à tripoter son petit robinet – il en avait aussi profité pour jouer au docteur avec les copines de Sylvie qui se laissaient docilement ausculter, la culotte aux chevilles et la jupe retroussée sur les hanches. Jean se souvenait qu’après avoir examiné de près ses petites patientes au ventre nu, il délivrait invariablement le même diagnostic « C’est la vésicule biliaire », formule énigmatique et fortement médicalisée qui avait le don de les impressionner et de le griser lui-même. Il m’avait aussi raconté comment, au cours d’un bref séjour à la montagne où ils étaient partis camper en famille, il avait surpris ses parents en plein accouplement. Il avait alors onze ou douze ans. Alors qu’on le croyait endormi, il avait d’abord entendu des chuchotements, puis des soupirs dans la tente voisine. Il était très tard. Il les avait vus, à la lueur blême de la lune, sa mère à quatre pattes sur le matelas pneumatique, son père à genoux derrière elle qui la tenait par les hanches et la besognait gaillardement. Plus tard, il avait vu sa mère sucer son père et, pour l’occasion, il avait réveillé Sylvie afin qu’elle assiste elle aussi au spectacle.
Très jeune, Jean s’était habitué à voir, dans la poubelle de la salle de bains, les serviettes rouges du sang des règles de sa mère, et à humer ses fonds de culotte odorants… Il m’avoua avoir aussi reniflé quelquefois les dessous de sa tante et même tenté de l’épier par le trou de la serrure pendant qu’elle était à sa toilette, mais en vain.
Avec Reine, sa copine de lycée, il avait trouvé une compagne à sa mesure. En effet, elle se laissait facilement caresser les seins et, au cinéma, après l’entracte, elle permettait qu’il lui mette la main dans le slip pendant qu’ils s’embrassaient à pleine bouche. Il était attentif à son cycle menstruel au point d’en être le comptable sur un petit calendrier de poche dont il marquait au stylo rouge les jours fatidiques.
J’étais un peu jaloux car, pour ma part, mon expérience auprès des filles se résumait à la visite, trois ans auparavant, de cousins de Paris venus passer la journée du 15 août au bord de la mer. Ils avaient deux garçons et une fille de quatorze ans qui s’appelait Brigitte. Il faisait chaud ce jour-là et l’après-midi, on était tous allés à la plage. Lorsque les grandes personnes nous avaient enfin donné le feu vert pour la baignade – il fallait respecter les trois heures sacro-saintes de la digestion – j’avais bêtement insisté pour que Brigitte, qui était en maillot de bain, nous accompagne dans l’eau.
- Je ne peux pas ! me répéta-t-elle à voix basse, l’air gêné.
- Mais pourquoi ? Allez, viens, elle est bonne !
- Non, je te dis que je ne peux pas…
Je me souviens encore de l’embarras des parents, surtout de maman qui me faisait des signes désespérés pour me faire comprendre que je ne devais pas insister. Et plus tard, quand les cousins eurent repris le train pour Paris, ses mots sur le quai de la gare :
- Tristan, tu m’as vraiment fait honte ! On ne vous apprend donc rien à l’école ? À ton âge, tu devrais comprendre que ce ne sont pas des questions à poser à une jeune fille. Elle ne pouvait pas, c’était clair, non ?
Rien n’était plus obscur.
Malheureusement, ces cousins de Paris n’étaient plus revenus nous rendre visite.
à suivre...
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