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"Villa Ferjac "
Chapitre 2
Au cours de l’unique visite de la maison, quelques semaines avant la signature de l’acte de vente chez le notaire, je rencontrai enfin le propriétaire des lieux. Il était installé au rez-de-chaussée, dans une vaste pièce sombre. Sous la fenêtre, le bureau se nourrissait de toute la lumière du jour. Tout autour, les murs étaient tapissés d’ouvrages aux reliures de cuir odorant, à tel point que j’eus l’étrange sensation de pénétrer dans un immense sac à main. M. Bertholet m’avait tendu une main osseuse et froide.
- Je vous trouve bien jeune pour vous encombrer d’une telle maison ! dit-il sans me regarder.
Assis au bureau devant deux livres ouverts, il écrivait.
- Maître Guyot vous a-t-il bien expliqué les conditions de vente ? reprit-il en posant son stylo au bord d’une page encore vierge.
Il se tourna vers moi. Dans le contre-jour brillaient ses yeux fatigués.
- Si j’ai bien compris, la maison est vendue meublée… Je m’engagerais à acheter l’ensemble, même la vaisselle, je crois.
- C’est cela ! À l’exception de mes effets personnels, bien entendu.
- Et il vous est indifférent de vous séparer de vos livres, de ces tableaux aux murs du salon ? Vous savez, si c’est une question d’argent, on peut trouver un arrangement… Je ne voudrais pas avoir l’impression de vous dépouiller.
Mais il ne me regardait plus, paraissait même ne plus m’écouter.
- Tout. Je vends tout, répéta-t-il avec conviction.
Devant mon désarroi, le notaire tint à me rassurer. Il m’attira un peu à l’écart.
- M. Bertholet reste seul, sans famille… C’est, comment dire, un original, une sorte d’antiquité, si vous préférez.
- Et après, où va-t-il s’installer ?
Le notaire avait haussé les épaules, évoquant une possible maison de retraite, quelque part dans le Sud… De toute évidence, il n’en savait rien.
Notre seconde rencontre eut lieu un mois plus tard, dans l’étude feutrée de Maître Guyot pour la signature de l’acte de vente. Je vis enfin M. Bertholet en pleine lumière, assis en face de moi, le corps enveloppé dans un lourd manteau de ratine. De ses doigts maigres, il jouait avec une canne à pommeau d’ivoire posée sur ses genoux. Tout en prêtant une oreille distraite à la litanie procédurière du notaire, je regardai ses cheveux clairsemés aux boucles encore sombres, l’arête de son nez busqué, l’arc touffu de ses sourcils qui ombraient ses yeux cernés de rides sèches. Ses lèvres dessinaient une moue dédaigneuse, mais presque souriante, à l’adresse de Maître Guyot qui poursuivait sa lecture minutieuse. Quand il se leva pour la signature, il me parut à la fois très grand et immensément fragile, comme si un simple souffle de vent ou un mot trop brutal eussent suffi à le faire chanceler.
Il me revint alors en mémoire une leçon de latin avec un très vieux professeur que l’on admirait, peut-être parce qu’il semblait venu d’une autre époque, avec ses longs cheveux blancs, ses doigts déformés, ses rides qui lui déchiraient le visage, sa démarche lente et claudicante. Je le vois encore montrer avec sa canne le tableau noir, se retourner, l’œil vif et malicieux, et nous révéler avec un charmant sourire : « Fluctuat nec mergitur ».
à suivre...
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