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"Villa Ferjac", chapitre 3
Ayant dû pour des raisons professionnelles me rendre à Cologne puis à Milan, j’avais chargé une entreprise de procéder pendant mon absence au transfert à la Villa Ferjac des livres, de mes effets personnels et de quelques souvenirs plus intimes que j’avais pu sauver du naufrage de ma relation avec Clara. Cela tenait en peu de choses : il y avait d’abord un petit album photo qui contenait, outre les banals clichés de vacances ou de soirées d’anniversaires entre amis, une trentaine de photos où Clara avait posé nue pour moi. Ces images entretenaient la douleur de la rupture tant son corps y apparaissait désirable et délicieusement lascif. En partant, elle avait aussi oublié deux petites culottes – une sage en coton festonné, une autre plus canaille, stratégiquement ajourée – ainsi qu’une paire de bas noirs. Rien d’autre ? Ah si : un vieux magazine d’annonces échangistes, annoté de sa main, où elle avait elle-même sélectionné les quelques couples avec lesquels elle aurait aimé que nous partagions des nuits d’amour. Mais ses désirs n’allèrent pas plus loin qu’une lettre-réponse à une annonce qu’elle ne posta jamais.
Le jour de mon retour, un après-midi de novembre où soufflait une furieuse tempête de sud-ouest, j’eus la désagréable surprise de trouver les grilles du portail ouvertes à tout vent. La porte principale de la maison n’était même pas fermée à clef. J’étais encore à m’ébrouer dans le vestibule, maudissant la désinvolture des déménageurs, lorsque je découvris un rai de lumière filtrant sous la porte de la bibliothèque. Je sentis monter en moi une redoutable fureur.
Il était là, assis au bureau, penché au-dessus des livres, face à la fenêtre giflée par le vent et les giboulées. Je m’étais arrêté dans l’encadrement de la porte, stupéfait, incapable de détacher mon regard de son dos voûté, du pommeau de sa canne appuyée sur le bras du fauteuil…
- Je sais ce que vous pensez, dit-il sans se retourner, mais je vous attendais avec impatience. Vous connaissez les élégies de Tibulle ? Alors, écoutez ceci :
« Crudeles Divi ! Serpens novus exuit annos :
Formae non illiam fata dedere moram. »
Mirabeau traduit ces deux vers par : « Dieux cruels ! Le serpent chaque année renouvelle sa robe ; mais le destin n’accorde aucun délai à la beauté. » Qu’est-ce que vous en dites ?
- Je ne sais pas… Il me semble que j’aurais plutôt commencé par « Divine cruauté ! », même si ce n’est pas la traduction littérale…
Et, au moment même où je prononçais ces mots, je sentis ma colère s’apaiser, mes nerfs se relâcher. Jamais plus je n’aurais la force d’exiger son départ.
à suivre...
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