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Baiser à la plage
Lorsqu’on ne se trouve ni au Cap d’Agde, ni sur un des nombreux autres espaces naturistes qui parsèment les côtes, baiser à la plage
en plein jour n’est pas une mince affaire. En effet, à moins d’un goût partagé pour l’exhibitionnisme, le coït littoral requiert audace et discrétion.
Les plus prudents – ou les moins téméraires, c’est selon – opteront pour la cabine de plage. Il s’agit le plus souvent d’un héritage familial, transmis par une aïeule normande qui se rêvait
propriétaire d’une écurie de trotteurs et d’une villa sur le front de mer à Cabourg. De ses chimères, il ne reste que la cabine de plage, six mètres carrés de planches avec une porte percée d’un
oeilleton en forme de cœur, comme les portes de toilettes d’autrefois. Aux murs, sont accrochés des épuisettes, des râteaux rouillés pour la pêche aux coques. Dans un coin, est échouée l’épave
d’un vieux transat en toile à rayures bleues et blanches. Sur le plancher blanchi par le sel, une étoile de mer desséchée, une collection inachevée de coquillages nacrés, une raquette de Jokari…
Pour baiser, le confort est spartiate : un banc de bois, parfois une chaise en plastique. Il faut apporter serviettes et boissons fraîches… Pourtant, des générations de baigneurs s’y sont
succédées, des enfants y ont été conçus, des adultères consommés, des virginités perdues… C’est le paradis estival des cousins-cousines. À défaut du privilège d’une cabine de plage familiale, on
peut essayer d’en squatter une abandonnée, mais elles n’ont souvent plus de porte, les planches en sont disjointes et les voyeurs du voisinage à l’affût…
D’autres tenteront l’aventure dans les dunes. Il est vrai qu’au premier abord l’endroit paraît sympathique : une succession de cuvettes sableuses, douillettes comme des berceaux, des rideaux
d’oyats, la chaleur du soleil… Mais c’est trompeur, c’est oublier un peu vite que les dunes sont avant tout de gigantesques tas de sable. Le sable, voilà l’ennemi ! Comme l’ennemi, le sable
est partout. Il est sournois, vicieux et obstiné. Comme l’ennemi, le sable est insaisissable et passe à l’attaque au moment où on ne s’y attend pas. Le sable ruisselle, s’enfuit, s’infiltre,
s’insinue dans les moindres replis, colle à la peau, se dérobe alors qu’on le croit endormi, glisse sans bruit… Le sable rampe, vole, tourbillonne, se faufile sur lui-même, s’agrippe au moindre
poil, sème ses grains dorés sur toutes les lèvres, fait son nid dans les maillots de bain. J’ai connu un couple qui bien que très amoureux s’est séparé à la suite d’une partie de jambes en l’air
dans les dunes. L’initiative en revenait à mon ami, elle s’était laissé convaincre. Mal leur en prit ! Ils étaient à l’ouvrage, bien au-delà des préliminaires, lorsqu’ils s’étaient lancés
d’un commun accord dans un soixante-neuf qui s’annonçait prometteur. C’était compter sans le sable. Tapis dans les poils pubiens, collés au bout du gland, incrustés dans les replis humides de la
vulve, d’innombrables grains de sable se mêlaient à la salive et crissaient sous les dents… Puis vint à passer une famille au grand complet - parents, enfants et grand-mère – en quête d’un coin
tranquille pour pique-niquer. Un coup de soleil sur les fesses de mon amie vint parachever le fiasco. Ils ne s’en remirent jamais.
Pour les inconditionnels de l’amour balnéaire, le must c’est quand même de baiser directement sur la plage, avec l’ombre d’un parasol pour toute intimité. Vu de loin, c’est un couple très sage.
Il est couché sur le dos, les bras repliés sous la nuque. Il semble somnoler. Elle est allongée sur le ventre. Appuyée sur un coude, elle est en train de compléter des grilles de sudoku dans un
magazine. Ils ne se parlent pas. À y regarder de plus près, ils ne sont pas couchés côte à côte, mais plutôt posés sur le sable comme une paire de ciseaux entrouverte. Leurs bassins se croisent,
elle dessus, lui dessous. Leurs corps sont comme rivetés l’un à l’autre, sur l’axe de leur pubis. Il est planté profondément dans son vagin. Par d’invisibles contractions de son intimité, elle le
retient en elle, l’aspire, le masse à l’aide de muscles annelés très secrets. Elle presse très très lentement son clitoris contre la base du membre de son compagnon, et cette pression suffit à la
maintenir en grande mouillure. Jouant du périnée, son compagnon impulse jusqu’à son gland tuméfié des spasmes langoureux qui lui caressent le col de l’utérus… Elle sent monter le sperme, elle se
hâte de jouir en serrant très fort les cuisses et le stylo-bille qu’elle tient entre le pouce et l’index…
Je me suis un jour essayé à ce numéro de prestidigitateur. C’était sur une plage atlantique, par un après-midi de juillet. Myriam complétait une grille de mots croisés. Tout a parfaitement fonctionné jusqu’au moment de l’orgasme où elle a crié « Ouiiiihhh ! » et où tous les gens alentour nous ont regardés de travers.
© Michel Koppera, août 2009
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