Philippe # 11
Réfléchissez, réfléchissez.... Tout en parlant, il ne cessait de passer ses pouces sur l'extrémité charnue de
chacun de ses doigts comme s'il égrenait un chapelet invisible. Cherchait-il à tromper son impatience ? Décontenancé, je suis sorti de sa boutique ; le seul instant de plénitude,
curieusement fut lorsque ma main naturellement se posa sur la tête oblongue du gardien de ces lieux.
Il me rassura.
Quel étrange marché ! Ce triptyque d'une grande valeur en échange de quelques photos!
Sans pudeur, sans censure, sans interdit.
Il ne m'a pas expliqué le sens précis de sa phrase.
De combien de degrés les cuisses doivent-elles s'ouvrir pour devenir à ses yeux impudiques ?
Certains regards peuvent être impudiques, de nombreux culs, même offerts, ne le seront jamais.
Peut-être mesurera-t-il l'intensité érotique des photos à ma fébrilité lorsque je viendrai lui remettre
l'enveloppe ?
Ainsi donc il me serait possible de préserver Monika.
Le jour venu, le plus tôt possible, me rendre au bar.
Poser ma sacoche sur la table tout en commandant un café et un whisky.
Sortir mon enveloppe afin de m'imprégner de mon rôle.
Ne tremper que les lèvres dans le verre, il ne pourra humer ma terrible gêne, je garderai mon contrôle.
Il verra des photos de Monika offerte, bien sûr.
Pas question pour moi de le voler.
Mais pas l'enveloppe noire qui se trouve dans mon carton à souvenirs et émotions.
Non celle-là je m'imagine mal la lui porter et la poser sur le comptoir.
Et que fera-t-il après avoir glissé les photos dans son album secret ?
Quelles autres femmes Monika irait-elle rejoindre ?
Il se masturbe en imaginant les posséder ?
Oui certainement, mais moi-même il m'est arrivé souvent de jouir d'elle sans qu'elle ne soit là.
Oui, j'avoue m'être déjà donné du plaisir en regardant des photos d'elle, parfois il m'est arrivé également de le faire rien
qu'en fermant les yeux et en l'imaginant dans des situations diverses et variées...Laurence...
Ce triptyque, j'aimerais tant le posséder.
Tout de suite en le découvrant j'ai songé à Denis.
Il serait le support idéal pour trois mises en scène de Monika peinte et mise en vie par son talent.
Réfléchissez... Je ne fais que cela sur le chemin qui me mène à la maison.
Lorsque j'ouvre la porte sur le miroir de l'entrée, un mot :
Ne m'attends pas ce soir, je suis allée chercher mon costume et je vais aider à préparer la
décoration pour la fête de demain, Bisous, JE T'AIME.
Le soleil vient de tomber, la chaleur non.
J'ouvre en grand les fenêtres du salon et je file sous la douche.
J'en ressors ruisselant, le corps nu.
Je file à la cuisine, me sers une bière bien fraîche puis passe dans la chambre,
J'ouvre le placard et me retrouve face au rayon de ses dessous, comme j'aimerais une journée
durant être ce tanga ou ce soutien-gorge pour sentir sa peau se frotter à moi.
Quelques rayons au-dessus, j'extrais mon carton de sa cachette, il me faut préparer ma
prochaine commande. Je suis en vacances depuis ce soir et je compte bien les mettre à profit pour avancer dans mon projet. Mon écriture est facile en ce moment et les idées fusent. Il me faut de
la matière pour alimenter le livre, Valentin m'est précieux.
Je vais donc poursuivre, pour les photos audacieuses, je verrai plus tard.
Je dépose dans une grande enveloppe les dix prochaines photos et négatifs.
C'est sa poitrine qui est toujours à l'honneur.
Comme je les aime ses seins. Je me souviendrai toujours avoir été surpris, la première fois que mes mains sont
allées à leur contact. Elle portait toujours d'amples vêtements pour masquer, selon elle, une absence de formes. C'est lors de caresses sous ses vêtements que je les ai découverts.
Je fus saisi par leur douceur, leur fermeté et très rapidement je compris combien ils étaient
sensibles puisqu'il me fut interdit de les effleurer.
Elle ne supportait pas de subtiles caresses, impossible également d'y poser ma
bouche.
La seule option qu'elle m'offrit fut de les prendre à pleines mains. Il m'en fallut du temps
pour qu'elle apprenne à y prendre plaisir et je reste intimement persuadé qu'il serait possible de la faire jouir par de savants attouchements sur ses seins.
Un jour peut-être.
Rarement dans ma vie je n'ai rencontré une fille si sensible à cet endroit.
Ma sélection achevée, je referme l'enveloppe et pose mon regard sur mes achats dans la
boutique.
Ainsi il s'agit de Brigitte Bardot, ce n'est pas cela qui m'avait marqué mais plutôt la proximité avec certaines
photos, en noir et blanc également, que j'avais réalisé avec Monika.
Même cadrage approximatif, mélange sulfureux d'innocence et d'indécence
identique.
Par la fenêtre me parviennent les bruits de la nuit.
Deux chats au loin se battent, sans doute pour une femelle.
Un chien aboie.
Un train file à pleine allure vers une destination inconnue et réduit au silence le monde de la
nuit.
Demain je le prendrai à mon tour.
Je suis las, fatigué....
.... Elle est allongée dans le canapé, totalement nue, Tabou couché au creux
de son ventre.
Elle plonge sa main dans l'épaisse fourrure et me regarde.
- Si tu en veux davantage, donnes-en plus. S'il te plaît, s'il te plaît, d'une voix presque
plaintive.
- Oui, cela me plaît....
La sonnerie du téléphone me réveille en sursaut.
Halima.
- Je te réveille ?
- Oui
- Pardonne-moi, je voulais juste te remercier pour ce week-end, ça m'a fait du bien de te
revoir.
- Moi aussi, on devrait ne pas attendre si longtemps.
- Exact, la prochaine fois viens avec Monika.
- Je tenterai de la convaincre, mais en ce moment elle semble très prise.
- Au fait, tu devais me parler de ton photographe.
- Valentin ?
- C'est celui qui l'a faite poser ?
- Ah André ! Une autre fois si cela ne te dérange pas.
- Ok alors je te laisse finir ta nuit, bibi à bientôt.
- Bibi .
Merci Halima pour cet appel nocturne, je n'ose même pas imaginer si c'était Monika qui m'avait
réveillé découvrant mon carton grand ouvert et les images licencieuses de tonton Théodore le libertin. Quel drôle d'ancêtre !
Tout ranger, remettre en ordre replonger dans mes rêves.
Au matin le lit est vide, il est si tard déjà lorsque je fais surface.
Monika qui est rentrée dans la nuit est déjà partie au travail. Nous nous voyons si peu ces
derniers temps.
Pourtant cet éloignement paraît nous rapprocher l'un de l'autre, nous sommes à
l'affût.
Je déjeune et parviens à prendre le train.
Avant de m'enfoncer dans la ruelle, je fais une étape par le café.
Le patron me salue comme si j'étais devenu un habitué.
Je vois la silhouette de Tabou se dessiner dans l'obscurité du boyau, il
m'attend.
C'est le signal.
Lorsque je me retrouve face à Valentin, il y a comme un silence complice entre nous, il a bien
compris que mon apport n'était pas celui du troc et nous ne l'évoquons pas. Comme un lendemain de gueule de bois où l'on tente d'oublier les excès de la veille.
Je lui tends l'enveloppe, il me remet la pochette de son travail, elle est encore chaude comme
des baguettes à peine sorties du four d'une boulangerie.
Valentin # 11
Au fond de la boutique, au bout d'un étroit couloir sombre, il y a une porte qui donne sur une arrière-cour
collective, rectangle de pavés moussus, fermé sur les quatre côtés par de hauts murs aveugles. La cour est ouverte sur le ciel que traversent les nuages chargés de vent et de pluie. Dans un
angle, quelqu'un a aménagé un parterre de fleurs où poussent un massif d'hortensias bleus et durant l'été quelques vigoureux buissons de belles de nuit multicolores. Durant la journée,
les fleurs de belles de nuit restent closes mais, au crépuscule, elle s'ouvrent et exhalent pendant quelques heures un parfum absolument divin. À la nuit tombée, je viens souvent me
baigner longuement dans les arômes qui stagnent entre les murs hermétiques de l'arrière-cour. J'y devine parfois ce que doit être le goût du bonheur et de la sérénité.
Voilà plus de trente ans que je photographie des êtres humains, qu'ils m'autorisent ou me
demandent de capturer leur image, des reflets d' hommes et surtout de femmes et, à chaque fois, j'espère secrètement que mon modèle s'épanouira devant moi comme une belle de nuit afin
d'exhaler et d'exprimer sa personnalité la plus intime. Avec les hommes, il ne faut pas trop se faire d'illusions : l'homme est presque toujours engoncé dans une armure de certitudes, de préjugés
et de contraintes sociales. Même nu, il garde sa carapace ! Seules les femmes peuvent s'abandonner au point de laisser tomber le masque. De femme, elle peut alors se muer en femelle, se
débarrasser de tous les artifices de la féminité – maquillage, mode et minauderies – pour donner libre cours à ce que j'appelle sa femellité.
La plupart du temps, les femmes qui posent, dans mon studio ou dans leur intérieur, attendent
de moi que je les dirige, que je leur donne des instructions sur les gestes à faire, les regards à ébaucher, les cambrures à adopter. Elle sont dociles, entièrement soumises à ma volonté. Elles
me demandent juste de trouver le bon angle, la bonne lumière, la meilleure perspective, qui mettront en valeur la beauté de leurs corps. Le résultat, ce sont des photos esthétiquement correctes,
semblables en tous points à celles que l'on trouve dans les pages des magazines et sur les affiches publicitaires, ce qu'on appelle de belles images. Et puis, parfois, pendant de trop
courtes minutes, le temps de quelques prises de vue, il se passe quelque chose d'inattendu, d'imprévisible, de magique. Comme la belle de nuit qui s'ouvre et libère son parfum, la femme
n'écoute plus que son instinct, que son désir. En un instant, elle se métamorphose en femelle et livre à l'objectif sa vraie et profonde nature. Elle est alors intensément animale, sans
tabou, sans pudeur, sans censure. Ces mots n'ont plus aucun sens pour elle. Elle n'est plus ni belle, ni laide, ni jeune, ni vieille, ni mince, ni grosse, elle est tout simplement femelle.
Je n'ai plus besoin de la diriger, elle vit. C'est à moi de saisir ces moments d'exception en oubliant toute considération d'éclairage, de cadrage ou d'esthétique...
Ces images sont si rares et précieuses que je les ai rangées dans un album très personnel que
je n'ouvre que les jours de grande détresse. Leur vue suffit à redonner un sens à mon existence. Mon corps retrouve sa vigueur : une boule de désir me noue l'estomac, mon sexe durcit
inexorablement, et une douce chaleur bienfaisante inonde mon ventre.
Dans la centaine de photos de Monika que Philippe m'a déjà apportées à retravailler, aucune ne
pourrait encore trouver place dans mon album. Cependant, sur quelques-unes d'entre elles, j'ai entrevu les indices annonciateurs de la femellité de Monika. Sa dernière commande est sur
ce point particulièrement intéressante, surtout la photo à la chaise. Bien sûr, elle y est assise nue, les cuisses largement écartées, même si ses mains stratégiquement croisées cachent
encore son sexe, centre névralgique de sa féminité. Les jours du dossier de la chaise mettent en valeur
la sensualité charnelle de ses seins... Cependant, mon regard s'attarde plus bas, sur ses pieds invisibles, comme avalés par des bottes noires, trop grandes et trop lourdes pour elle, sauvagement
ouvertes et qui ponctuent la sage photo d'une touche de brutale trivialité... C'est à cause de photos comme celles-là que je soupçonne Philippe de posséder lui aussi un album secret où il
conserve jalousement les images femelles de Monika....
Dans l'École des
Femmes, Molière disait que le bonheur n'est rien s'il n'est partagé :
« L'allégresse du coeur s'augmente à la répandre,
Et, goutât-on cent fois un bonheur trop parfait,
On n'en est pas content si quelqu'un ne le sait ».
Ainsi, comme tous les jaloux, Philippe est tiraillé entre la volonté farouche de garder
l'exclusivité de la libido de sa compagne et le besoin inavoué et lancinant de la montrer, de l'exhiber en public, afin que tout un chacun puisse admirer son corps, en admettre sa beauté, désirer
la posséder... et connaître son bonheur.
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