Philippe # 6
Il est presque 22 heures, je suis dans le canapé, la nuit est chaude mais malgré la tension perceptible il n'y
aura pas d'orage ce soir.
J'ai pu écourter ma réunion en fin d'après-midi pour arriver jusqu'à la boutique avant sa fermeture. Pas de chat dans la
ruelle.
Lorsque j'ai franchi la porte, il n'a pas paru surpris de me revoir si rapidement, il faisait du rangement parmi tous ses
objets.
J'ai prétexté avoir à faire en ville pour des raisons professionnelles.
M'a-t-il cru ? Peu m'importait, l'essentiel était de justifier ma présence d'une façon ou d'une autre.
Dire que je le trouve étrange alors que mon comportement est plutôt singulier.
J'ai posé ma sacoche sur le comptoir ayant pris soin de mettre au secret la première pochette dans une armoire, difficilement
accessible à Monika,
Alors que j'étais en train d'en extraire l'enveloppe contenant les négatifs des travaux suivants il m'a tendu ceux qu'il
avait développés.
Je fus décontenancé, surpris par sa rapidité d'exécution : il est vrai que je devais être l'un de ses rares clients.
Sa vie semblait être vouée à la solitude.
À le côtoyer, je le trouve sympathique malgré ou peut-être à cause de ses manies.
Avec difficulté, je suis parvenu à refuser de prendre la pochette, expliquant que je ne pouvais pas le régler faute d'argent,
en réalité je ne voulais pas, pas encore du moins être tenté de l'ouvrir.
Trop tôt, ce n'était pas encore le moment.
Je les prendrais la prochaine fois, il parut déçu, du moins il me sembla, si j'avais osé fixer son regard.
Pour apaiser sa déception, je lui ai demandé s'il lui était possible d'effectuer des travaux spéciaux sans avoir de négatifs,
juste des photos originales, comme restaurer des photos anciennes, les agrandir ou recadrer,.
Il ne pouvait se prononcer sans voir l'état des images mais il me confia avoir déjà réalisé quelques miracles pour le plus
grand plaisir de ses clients,
J'allais réfléchir et au moment de prendre congé, il me précéda en ouvrant la porte, m'évitant ainsi, à dessein peut-être,
tout contact avec le reptile de la poignée.
Je ne me suis pas retourné, mon regard fixé vers le goulot de la ruelle, je l'entendis juste appeler au loin :
- Tabou, Tabou, Tabou
Un miaulement puis le fracas du rideau métallique.
Quel drôle de nom pour un chat !
22 H 15 : le bruit de la clé dans la serrure, elle est enfin de retour.
Où était-elle ? Aucune envie de le savoir, le contrat fixé hier au soir est clair, jusqu'à sa date anniversaire aucune
question ne sera posée à l'autre.
Lorsqu'elle dépose ses sacs encombrants je la découvre rayonnante dans cette petite robe blanche cintrée à la taille et
dévoilant à mi-cuisses ses fines jambes, Les lacets de ses sandales remontent haut sur ses mollets délicats.
- Je me suis fait plaisir, dit-elle sans en expliquer l'énigmatique sens,. Et toi, as-tu passé une bonne
journée ?
- Excellente, merci ,mais j'ai beaucoup de travail en retard.
- Promets-moi de ne pas ouvrir les sacs en cachette, tu m'as donné carte blanche pour du changement,
- Promis
- Bon je file sous la douche.
Plus tard, lorsqu'elle me rejoint, elle arbore un magnifique sourire.
- Et bien, le mystère te profite bien, la salle de bain n'a jamais été aussi propre, bravo ! Pardonne-moi je file me
coucher, je suis épuisée.
Elle dépose sur ma bouche la fraîcheur de la sienne et me demande de ne pas veiller trop tard.
En effet, la salle de bain est d'une propreté laborantine, j'y ai passé plus d'une heure à la nettoyer de fond en comble,
l'inspectant dans les moindres recoins,
Trente-deux ! Jamais je n'aurais pensé en trouver autant et pourtant tous se sont retrouvés exclus de ma sélection, ne
possédant pas à mes yeux le label de fraîcheur que je me suis fixé.
Par contre lorsque je m'y rends après son passage, les six que je découvre viennent compléter le contenu de ma boite,
J'ai envie d'elle mais elle dort déjà je le sais, je rentre dans la chambre pour simplement la regarder, ses cheveux tombent
sur ses épaules et couvrent la naissance de ses seins.
Je la laisse au bras de Morphée pour retrouver le canapé.
Je songe à Denis la croquant, Valentin lui donnant le bain et je glisse...
Le serpent à quitté la porte, Valentin est derrière le comptoir me fixant du regard, Tabou se frotte à mes jambes. Comme
fixé au sol je le suis du regard lorsque d'un coup de patte il ouvre la porte en contrebas d'un escalier dévoilant Monika allongée sur une sorte de table, tout sourire, comme apaisée, Elle
remonte sa robe blanche jusqu'à sa taille dévoilant une jarretière. Sur son bas-ventre, enroulé sur lui même, il dort...
En sursaut je me réveille, la surprise passée, je tente en vain de fermer les yeux pour retrouver la trace du songe, en
vain.
Au matin, un bisou sur mon front me signifie qu'il est temps de se lever. Sans me le reprocher, elle me dit que dans le lit
j'aurais mieux dormi et que même si nous nous sommes promis l'un à l'autre abstinence jusqu'à la date échéance, il n'est pas question de faire couche à part.
Valentin # 6
Hier, pour la première fois, j'ai eu un semblant de conversation avec le mari de Monika. Oh, pas de confession
intime, pas de révélations fracassantes, mais un simple échange de considérations techniques sur mon travail. Je sais que les visites de Philippe – c'est ainsi qu'il s'est enfin présenté – vont
devenir de plus en plus fréquentes et qu'au fil des rencontres, nos paroles respectives vont se libérer. En attendant, il m'a apporté à retirer une série de clichés de leur mariage, photos
exclusivement consacrées à la rituelle mise aux enchères de la jarretière de la mariée. Dans mes activités professionnelles, je n'ai jamais éprouvé aucun plaisir à effectuer des photos de
mariage. Peut-être parce que je n'ai jamais moi-même envisagé de me marier. En règle générale, je me tiens éloigné des groupes ; les foules m'angoissent. Et pourtant, pour la première fois, j'ai
accepté ce travail. Ce n'est pas pour l'argent : cela fait très longtemps que je ne travaille plus pour gagner ma vie. En effet, l'héritage de mon oncle Théodore m'a mis à l'abri du besoin pour
le restant de mes jours. Je suis donc un homme libre, libre de dire non, libre de mes choix... Ce qui m'a poussé à déroger à ma règle de conduite ? La curiosité, une certaine sympathie et aussi
cette histoire de jarretière. D'habitude, les photos de mariage sont d'une consternante niaiserie : le jeune couple dans un parc avec un étang et des cygnes blancs, la photo de groupe genre photo
de classe avec costards trop neufs, souliers vernis trop serrés, trop grands chapeaux à fleurs, la sortie d'église avec averses de riz et chemin semé de pétales de roses... Affligeant !
Apparemment, le mariage de Monika et Philippe n'eut rien de grandiose. Pas de tralala ! À la bonne franquette ! La fête avait eu lieu dans un sous-sol, peut-être un garage... Objet de tous les
regards, juchée sur une chaise, il y a la mariée qui, au gré des enchères, se laisse remonter ou abaisser le bas de sa robe blanche jusqu'à découvrir la jarretière enroulée autour de sa cuisse
gauche. L'ambiance était à la franche rigolade, agrémentée d'une bonne dose de grivoiserie. C'est Philippe, le tout jeune marié, qui photographie d'un oeil amusé; mais sans doute également un peu
troublé, l'exhibition de sa toute jeune épouse. Car ce faisant, il laisse dévoiler à toute l'assemblée les bas blancs de Monika, laisse deviner ses dessous affriolants mais cachés : sans doute un
porte-jarretelles et une toute petite culotte blanche elle aussi... C'est donc bien de sexe qu'il s'agit ! L'invité qui remporte les enchères acquiert aussi le droit d'ôter lui-même, parfois avec
les dents, la jarretière tant convoitée. Il a ainsi non seulement le privilège du toucher, mais aussi celui de respirer les parfums secrets, les odeurs intimes des dessous de la
mariée...
Confortablement assis dans le fauteuil de l'antichambre des secrets, Tabou endormi sur mes cuisses, je contemple le
visage de la jeune mariée : elle a l'air heureuse, insouciante. Le jeu lui plaît... À ce moment précis, à quoi pensait-elle ? Avait-elle conscience que cette jarretière enroulée sur sa cuisse
était comme le serpent du jardin d'Eden ? Serpent tentateur, révélateur de la connaissance, du désir, du plaisir d'amour, de la jouissance... Elle en riait...
D'une main distraite, je caresse la douce fourrure de Tabou qui ronronne. Me revient alors en mémoire l'imperceptible
hésitation de la main de Philippe au moment de pousser la porte de la boutique, de poser ses doigts sur le serpent à deux têtes de la poignée en ébène de Macassar...
Serpent à la langue bifide, au double langage, capable de vérité aussi bien que de mensonge. Serpent qui mord, qui étouffe,
qui crache son venin comme le phallus crache son sperme ; reptile au sang froid que l'ardeur du soleil réchauffe comme la tendre caresse d'une main réveille le sexe endormi... Serpent qui tue ou
qui guérit des maux d'amour. Songeait-elle à tout cela alors qu'elle sentait le long de sa jambe glisser sa jarretière de jeune mariée ?
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