Charles BAUDELAIRE, Les fleurs du mal
Je pense qu’il inutile de présenter Baudelaire, mais peut-être de rappeler que le recueil de poèmes parut en
1857 et que certains poèmes furent censurés et firent l’objet d’un procès qui provoqua la condamnation de son premier éditeur, avant une nouvelle édition « libre » en 1861. Voici une
sélection de quelques poèmes à caractère plus ou moins érotique, poèmes extraits de l'édition Garnier Flammarion. ( même si, à l'exception du tableau de Manet, les illustrations sont
largement postérieures aux poèmes, voire anachroniques, elles m'ont semblé bien coller à l'esprit baudelérien )
Les promesses d’un visage
J’aime, ô pâle beauté, tes sourcils surbaissés,
D’où semblent couler des ténèbres,
Tes yeux, quoique très noirs, m’inspirent des pensers
Qui ne sont pas du tout funèbres.
Tes yeux, qui sont d’accord avec tes noirs cheveux,
Avec ta crinière élastique,
Tes yeux, languisamment, me disent : » Si tu veux,
Amant de la muse plastique,
Suivre l’espoir qu’en toi nous avons excité,
Et tous les goûts que tu professes,
Tu pourras constater notre véracité
Depuis le nombril jusqu’aux fesses ;
Tu trouveras, au bout de deux beaux seins bien lourds,
Deux larges médailles de bronze,
Et sous un ventre uni, doux comme du velours,
Bistré comme la peau d’un bonze,
Une riche toison qui, vraiment, est la sœur
De cette énorme chevelure,
Souple et frisée, et qui t’égale en épaisseur,
Nuit sans étoiles, Nuit obscure ! »
Lola de Valence ( épigraphe)
Référence au portrait de Mademoiselle Lola, ballerine espagnole, peint par Manet.
Entre tant de beautés que partout on peut voir,
Je comprends bien, amis que le désir balance ;
Mais on voit scintiller en Lola de Valence
Le charme inattendu d’un bijou rose et noir.
à une Malabaraise ( 1840 )
Tes pieds sont aussi fins que tes mains, et ta hanche
Est large à faire envie à la plus belle blanche ;
À l’artiste pensif ton corps est doux et cher ;
Tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair.
Aux pays chauds et bleus où ton Dieu t’a fait naître,
Ta tâche est d’allumer la pipe de ton maître,
De pourvoir aux flacons d’eaux fraîches et d’odeurs,
De chasser loin du lit les moustiques rôdeurs,
Et, dès que le matin fait chanter les platanes,
D’acheter au bazar ananas et bananes.
Tout le jour, où tu veux, tu mènes tes pieds nus,
Tu fredonnes tout bas de vieux airs inconnus ;
Et quand descend le soir au manteau d’écarlate,
Tu poses doucement ton corps sur une natte,
Où tes rêves flottants sont pleins de colibris,
Et toujours, comme toi, gracieux et fleuris.
Pourquoi, l’heureuse enfant, veux-tu voir notre France,
Ce pays trop peuplé que fauche la souffrance,
Et, confiant ta vie aux bras forts des marins,
Faire de grands adieux à tes chers tamarins ?
Toi, vêtue à moitié de mousselines frêles,
Frissonnante là-bas sous la neige et les grêles,
Comme tu pleurerais tes loisirs doux et francs
Si, le corset brutal emprisonnant tes flancs
Il te fallait glaner son souper dans nos fanges
Et vendre le parfum de tes charmes étranges,
L’œil pensif, et suivant, dans nos sales brouillards,
Des cocotiers absents les fantômes épars !
Monselet Paillard
On me nomme le petit chat ;
Modernes petites-maîtresses,
J’unis à vos délicatesses
La force d’un jeune pacha.
La douceur de la voûte bleue
Ets concentrée en mon regard
Si vous voulez me voir hagard,
Lectrices, mordez-moi la queue !
Sans titre
- Combien dureront nos amours ?
Dit la pucelle au clair de lune.
L’amoureux répond : - O ma brune,
Toujours, toujours !
Quand tout sommeille aux alentours,
Elise, se tortillant d’aise,
Dit qu’elle veut que je la baise
Toujours, toujours !
Moi je dis : - Pour charmer mes jours
Et le souvenir de mes peines,
Bouteilles, que n’êtes-vous pleines
Toujours, toujours !
Mais le plus chastes des amours,
L’amoureux le plus intrépide,
Comme un flacon s’use et se vide
Toujours, toujours !
Venus Belga ( Montagne de la Cour )
Extraits de Amaenitates Belgicae )
Ces mollets sur ces pieds montés,
Qui sont sous des cottes peu blanches,
Ressemblent à des troncs plantés
Dans des planches.
Les seins des moindres femmelettes,
Ici, pèsent plusieurs quintaux,
Et leurs membres sont des poteaux
Qui donnent le goût des squelettes.
Il ne me suffit pas qu’un sein soit gros et doux :
Il le faut un peu ferme ou je tourne casaque.
Car, sacré nom de Dieu ! je ne suis pas cosaque
Pour me soûler avec du suif et du saindoux.
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