Baiser à la fête foraine
Comme chaque année à la même époque, la foire exposition a pris possession de l’esplanade. De loin, ça ressemble à un vaste campement nomade, avec les toits de toile blanche, les fumées parfumées à la merguez, les musiques exotiques… Mais à l’intérieur, c’est plutôt la grande boutiques des beaufs : du pinard, des salles à manger en chêne massif, des matelas multispires spécial rhumatismes, de la charcuterie de montagne et encore du pinard. Les gamins y chassent les autocollants et les prospectus, les hommes courent les dégustations gratuites, les femmes s’y emmerdent…
Cependant, non loin de là, les forains ont monté leurs manèges. Des néons chamarrés, un tintamarre de techno aromatisé à la guimauve,
des indigestions de barbe à papa et de churros. Des ados s’enlacent dans des trains fantômes, d’autres s’embrassent au bord de la piste des autos tamponneuses. Les attractions ont des noms
d’enfer : Speed Maxx, Panic, Dominator, Jet Force ou Magnetic Storm ! Hurlements garantis !
Avec Marie, on a passé l’âge des émotions fortes à 3G. Notre sortie à la fête foraine, c’est rituellement le dernier jour, le soir du feu d’artifice. Pour l’occasion, Marie a mis une jupe assez courte et des bas sombres. On commence par des jeux d’adresse : Marie adore le tir à carabine à air comprimé. Elle aime éclater les petits ballons multicolores qui virevoltent dans une cage et qui disparaissent d’un seul coup, d’une simple pression sur la gâchette, ça l’émoustille. Moi, je me défoule au chamboule-tout. On collectionne les points cadeaux et on se retrouve avec une horrible peluche de panda obèse. On déambule dans les allées, bras dessus bras dessous, hanche contre hanche, en partageant un cornet de croustillons supracaloriques. On continue par un tour dans le labyrinthe des glaces où on en profite pour se caresser maladroitement comme de tout nouveaux amants.
Il fait maintenant nuit noire. Peu à peu, la foule se regroupe aux abords du lac où va être tiré le feu d’artifice. On marche à
contre-courant, vers notre feu d’artifice personnel et secret. Tout au bout du champ de foire, tourne lentement le gigantesque engrenage lumineux de la grande roue. Ici, point de tapage racoleur,
point d’esbroufe. Les nacelles sont presque confortables : deux banquettes en vis-à-vis sous une sorte de parasol rectangulaire qui protège des intempéries et des regards. On y embarque en
famille ou en couple, comme nous avec notre panda. Pendant le feu d’artifice, les clients se font plus rares, donc les parties plus longues. On sait déjà qu’on aura droit à au moins trois
révolutions complètes, peut-être quatre. Largement le temps de baiser…
Nous prenons place : elle à côté du panda, moi en face d’elle. À la première salve de fusées blanches, Marie retrousse sa jupe,
écarte les cuisses et me montre sa petite culotte, si petite qu’elle en paraît dérisoire. Alors, je redeviens amoureux d’elle comme au premier soir, comme aux premiers regards d’une nuit de juin,
d’un jour de fête, quand elle était encore jeune fille. Je tombe à genoux entre ses jambes et, le nez dans sa touffe, je lui lèche la vulve. Dans la nuit se répandent des gerbes d’étincelles polychromes et la foule fait des « Oh ! » et des « Ah ! », comme Marie. Tous les regards sont
tournés vers le ciel, personne ne s’intéresse à nous. Le feu d’artifice embrase les ténèbres comme le désir inonde le ventre de Marie.
Deuxième passage au ras du sol devant le regard vaguement inquisiteur de la guichetière dans son aquarium
– elle en a vu d’autres ! Nous voilà repartis pour une ultime montée au ciel. C’est l’Assomption ! Miracle à cent mètres au-dessus du sol, notre nacelle s’immobilise de longues minutes.
Nous sommes seuls sous la voie lactée, à jouir de notre vertige conjugal. Le panda devient oreiller où Marie abandonne sa nuque. Nous baisons ainsi, elle cul nu sur la banquette, moi à genoux sur
le plancher de la nacelle, comme en prière, la bite dans le tabernacle de son con familier.
Dans le ciel, la canonnade du feu d’artifice bat son plein, cascades de couleurs qui retombent en averses d’étoiles filantes. Marie s’offre le bouquet final d’un orgasme et sa chatte
sent le soufre ! J’ai à peine le temps de jouir que la roue redémarre sans bruit. Marie rajuste sa jupe froissée, je remonte mon pantalon. La fête est finie.
Demain matin, les forains démonteront leurs manèges et la foire lèvera le camp jusqu’à l’année prochaine.
© Michel Koppera, mai 2009
illustrations : 1 dessin de Martin Veyron et deux de Morale
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Je crois plutôt que Stéphane a récemment revu Emmanuelle sur une chaîne du câble
et qu’il a confondu fiction et réalité. À moins de mesurer moins d’un mètre soixante, le passager ordinaire à peine monté à bord se retrouve sanglé sur son siège, les genoux bloqués par le siège
de devant, les coudes collés au corps, condamné à l’abstinence…
Je reconnais
qu’en classe affaires, il y a peut-être plus d’opportunités. La largeur et la profondeur des sièges invitent à la luxure, on peut déplier les genoux et allonger les jambes sans crainte de
défoncer les côtes du passager de devant. Cependant, à moins de bénéficier de la complicité du personnel de bord qui fermerait ou détournerait les yeux, j’imagine mal une partie de jambes en
l’air à 30000 pieds au-dessus de l’Atlantique. À moins évidemment de baiser avec une hôtesse de l’air en personne, derrière les épais rideaux de leur local technique. Mais les hôtesses de l’air
ne sont plus ce qu’elles étaient. Elles sont devenues acariâtres, vêtues de tailleurs sinistres, avec carré Hermès et chignon de rigueur, qui les déguisent en bourgeoises du Rotary Club. Rien à
espérer de ce côté-là ! Autrefois, elles nous offraient du rêve et du champagne, aujourd’hui elles nous servent du soda avec des mines renfrognées comme si on était le dernier des
emmerdeurs.
Cette histoire m’a tellement pris la tête que la nuit dernière j’ai fait un rêve étrange – mais
qu’attend-on d’un rêve si ce n’est justement d’être étrange ? Donc, j’étais à bord d’un avion, mais pas un avion comme les autres. C’était un long courrier, un Boeing. Il n’y avait qu’une
trentaine de passagers, tous rassemblés à l’arrière de l’appareil sur quelques rangées de sièges. Rien que des hommes. Chacun avait un stylo et un calepin à la main ainsi qu’un magnétophone en
bandoulière. Ils m’écoutaient.
Un moment, j’ai craint que ce rêve ne vire au cauchemar habituel où l’on ne parvient jamais à atteindre un but et où plus on avance, plus on s’en éloigne… Enfin, je pousse une
porte à double battant, capitonnée, et me voici dans une sorte de salon très spacieux… Personne ! La porte du fond est ouverte, elle donne sur une chambre à coucher. Il y a un couple sur le
lit. Elle, blonde oxygénée, nue, à quatre pattes, se fait prendre en levrette par un homme d’une quarantaine d’années. Il est nu lui aussi. À genoux derrière la femme, il lui tient fermement les
hanches et la besogne mécaniquement. Il porte une sorte de corset qui lui étreint la taille et le bas du dos. Les gros seins de la femme ballottent sur les draps pendant qu’elle regarde le ciel
bleu à travers le hublot.
Tard dans l’après-midi,
alors qu’elle allait essayer un adorable ensemble imprimé noir et blanc, j’ai posé la paume de la main sur ce fin duvet, comme pour en éprouver la chaleur veloutée. Virginie m’a laissé faire,
sans autre réaction que son regard vert posé droit dans le mien.
Les deux chambres
étaient en effet contiguës, séparées par une mince cloison de briques et de plâtre. Alors, baiser chez les parents de Carole, c’était baiser sans en avoir l’air. Pas de la baise virtuelle, mais
de la baise furtive. Sans un soupir, sans un craquement de bois de lit, sans le moindre grincement de sommier, sans odeur de foutre, sans tache ! De l’amour en cinéma muet.

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