Boris VIAN, "Les morts ont tous la même peau" Collection Le Livre de poche n° 14193. Ce petit polar de 125 pages est paru en février 1947 sous le pseudonyme de Vernon Sullivan.
Héros : Dan Parker, videur de club. Lieu : New-York
Dan, métis plus blanc que noir, voit son existence bouleversée par l'irruption dans sa vie de son frère Richard qui le menace de révéler ses origines.
Pages 35-37. Dans un tripot, Dan retrouve son frère en compagnie de deux jeunes femmes noires.
" La fille du divan se leva, complètement nue, et ferma la porte. Elle s'approcha de Richard et s'assit sur la table. Je sentais son odeur âcre et chaude. Elle riait dans le vague en me regardant.
Est-ce que j'allais le faire ? Est-ce que j'allais tuer Richard ? Je vis les deux filles, et le corps maigre de mon frère et ses yeux sournois. Cette odeur terrible me montait à la tête, me faisait courir des frissons sur les reins. Je me représentai mes deux mains autour de son cou tendineux et dur, et les cris des deux filles. Naturellement, il fallait que je me débarrasse de lui et autrement qu'en lui donnant de l'argent pour retourner à Chicago. Naturellement. Mais à moins de me débarrasser de ces filles aussi, rien à faire ici. Bon, il fallait y passer.
- Va chercher du whisky, dis-je à celle des deux qui était encore habillée. Comment t'appelles-tu ?
- Ann, dit-elle.
- Je suis Sally, dit l'autre.
Elle me regardait en dessous et riait, la tête un peu inclinée sur son épaule, ses cuisses rondes et fermes s'aplatissaient sur la surface rugueuse de la table, et des gouttes de sueur roulaient de ses aisselles à ses hanches dures. Elle changea légèrement de position. Je voyais maintenant son bas-ventre nu, à peine couvert d'un léger duvet frisé plus foncé que sa peau. En fermant les yeux, je pouvais me représenter la masse pleine et bombée de son sexe dans ma paume, et je sentis que je glissais, que j'allais perdre la partie. (...) L'odeur de ces deux femmes, de ces noirs, paraissait sourdre de toutes parts, elle venait de ces murs sales, à la peinture défraîchie et écaillée, elle venait de ce sol froid et humide, de ce divan démodé, elle venait de cette table, des jambes de cette fille, de sa poitrine que je voyais se tendre, impatiente, de ses cuisses, et de ce triangle dur et chaud que j'allais écraser de tout mon poids. (...)
Je m'approchai de la table. J'avais un geste à faire pout toucher Sally.
Elle fit le geste. Elle se leva, se colla contre moi et prit ma main droite, qu'elle guida vers sa poitrine aiguë. Richard ne bougeait pas. J'entendis la porte s'ouvrir. Ann entra, referma à clef, et posa la bouteille sur la table. Richard s'en empara, hésita, mais il l'ouvrit et je le vis boire goulûment.
Ann attendait la bouteille et sourit lorsque nos yeux se rencontrèrent. Je sentais Sally remuer et s'agiter, et je n'osais pas penser à elle. Elle se dégagea soudain et m'aida à retirer mon imperméable. Je posai mon chapeau à côté de moi.
Richard s'était arrêté de boire. Il tendit la bouteille à Ann. Elle la prit, but, et ce fut mon tour : pendant de temps-là, elle et Sally me retiraient mes vêtements. Richard s'était écroulé, la tête sur les coudes. Je portai Sally jusqu'au divan. Elle tenait la bouteille et me la rendit vide. Je caressais de mes lèvres le grain de sa peau, l'humidité amère de sa sueur, et je voulais la mordre en pleine chair. Elle m'attira vers elle et guida ma tête, et je la sentis s'offrir lorsque je l'embrassai... et pendant de temps, Ann se glissa contre moi. Je la pris sauvagement, à la faire crier ; nos corps nus fumaient dans l'air froid de la pièce et je ne savais plus que j'avais la peau blanche."
Ecrire un commentaire - Voir les 0 commentaires
Derniers Commentaires