"Les adieux", nouvelle inédite
Chapitre 3
- Allô ? C’est Cynthia. Enfin ! Ça fait deux jours que j’essaie de te joindre.
- Désolé, j’aurais dû te prévenir, mais le téléphone de la maison a été coupé.
- Alors, tu as déménagé ! Quand pars-tu ?
- Pourquoi me demandes-tu ça ? Tu sais très bien que je prends l’avion la semaine prochaine !
- C’est que je n’arrive pas à m’y faire. Qu’est-ce que je vais devenir ?
- Cynthia, on ne va pas recommencer à parler de ça ! Bientôt, tu auras ton bébé, et plus rien ne sera comme avant…
- Tu ne veux pas que je t’accompagne ?
- Où ?
- À l’aéroport. Je pourrais t’y emmener.
- Non, je ne crois pas que ce serait une bonne idée.
- Michel ?
- Oui, je t’écoute.
- On pourrait se voir une dernière fois… Tu serais libre un soir ? Je t’invite à dîner.
- Je ne sais pas, je suis très occupé… Il faut que je dise au revoir à tout le monde.
- Je t’en prie, fais un effort ! Je ne te demanderai plus rien, promis !
- Alors, disons… mercredi prochain.
- Merci. Je t’embrasse.
- Nous, on croyait que tu allais vivre avec Cynthia.
- Moi aussi, mais je ne savais pas tout… Ou plus exactement, je préférais ne pas savoir.
Nous marchions sur la plage que les baigneurs nous avaient abandonnée. Un méchant vent d’ouest frisait les vagues sous un soleil blême. Danielle et Gérard se tenaient par le bras, comme aux premiers jours de leur rencontre, plus de vingt ans auparavant. Ils ne s’étaient plus quittés, enfin pas vraiment.
- Combien d’avion ? me demanda Gérard.
- Il faut compter une bonne douzaine d’heures.
- Pour moi, je crois que ce serait l’enfer. Rien que d’y penser, j’en ai les mains moites. Avec ma claustro ! Je me souviens encore de notre voyage aux Baléares, je n’avais qu’une envie, c’était de descendre. Comme quand je me retrouve dans une cage d’ascenseur.
Il y revenait toujours à ses angoisses : peur des ascenseurs, des salles de cinéma, des cabines téléphoniques…
On était arrivés au bout de la plage. Assis sur des enrochements, on regardait la mer et le ciel voilé de hauts nuages. De la pointe de ses bottes en caoutchouc, Danielle creusait un sillon dans le sable humide.
- Tout de même, dit-elle, tu n’aurais pas dû partir comme ça, sans te battre. Ce n’est pas dans tes habitudes de déclarer forfait. As-tu sérieusement pensé à ce que tu vas laisser derrière toi ? As-tu pensé à ton fils ?
- Il a douze ans maintenant, et ça fait plus de huit années qu’il vit avec sa mère. Je ne vois pas ce que ça va changer pour lui !
- Tu ne seras plus là quand il aura besoin de toi ! lança-t-elle avec irritation.
- Tu sais très bien que je n’ai jamais été là et qu’il ne voudrait rien de moi, même si j’étais tous les jours à ses côtés. Je crois qu’il ne m’aime pas, et parfois, je me demande si ce n’est pas réciproque.
Gérard ne disait rien. À quoi songeait-il ? Danielle continuait de creuser le sable, mécaniquement.
- Oublie ce que je t’ai dit, reprit-elle d’une voix apaisée, je ne voulais pas te blesser. On rentre ?
Leur maison était froide. Gérard mettait de la musique, toujours des chansons de femmes à la voix frêle avec des mélodies à la guitare sèche qui achevaient de me glacer le sang. De la cuisine où elle lavait les légumes, Danielle m’appelait :
- Tu restes manger avec nous !
Comme si c’était une évidence. Je les connaissais trop bien leurs dîners ; il me faudrait encore me justifier, m’expliquer. Pourtant Danielle savait préparer de petits plats avec juste ce qu’il faut de couleurs pour que ça paraisse original. Je fus lâche :
- Non, désolé. Je vous remercie, mais on m’attend. Dommage, ça m’avait l’air délicieux.
Gérard m’a raccompagné jusqu’à la voiture, cela faisait plus complice, plus viril aussi. Je me sentais comme dans un film de Claude Sautet, avec la pluie qui menaçait. Il ne manquait plus que la musique. J’avais baissé la vitre. Il me parlait, essayant de couvrir de sa voix la fureur du diesel.
- Tu comptes revenir quand ?
- Ça, il me l’avait déjà demandé au moins trois fois dans la journée. Mais ce n’était pas vraiment le moment de s’énerver.
- En principe, pas avant deux ans…
- Donne-nous de tes nouvelles, de temps en temps. Tu sais que Danielle s’inquiète pour toi.
- Comment ça ?
- Je ne sais pas. Allez, au revoir !
Il s’est écarté doucement, comme on lâche du bord du quai une barque qu’on abandonne à la houle. Un vague signe de la main, et puis plus rien…
- Et pourquoi elle s’inquiéterait ?
Il ne manquait vraiment que la musique. J’ai mis une cassette dans l’autoradio.
à suivre...
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