"Les ardents de la Rue du Bois-Soleil", # 22
Chap. 5
Le mardi, les cours finissant un peu plus tôt, nous avions presque tout l’après-midi pour aller au ciné, jouer au foot ou traîner du côté de la plage où se prélassaient parfois de jeunes Anglaises et d’autres beautés blondes venues d’Europe du Nord. On les imaginait toutes Suédoises, faciles et nymphomanes. Il faut dire que les plus déniaisés d’entre nous avaient vu des films, à Paris, dans des salles discrètes près de la Gare Saint-Lazare. Ils nous racontaient d’invraisemblables séquences où, par exemple, une femme pouvait se livrer à trois hommes en même temps !
Moi, je me souviens qu’à cette époque, mon premier film cochon je l’avais vu le 14 juillet de l’année précédente. Après le feu d’artifice tiré sur la plage, nos parents étaient allés guincher. Profitant de l’occasion, un gars du quartier, intrépide et débrouillard, m’avait entraîné clandestinement au Rex où l’on passait, à la séance de minuit, un film interdit aux mineurs. On était entrés par une porte de service qui donnait sur les arrières. Le film touchait à sa fin, nous eûmes le temps de ne voir que quelques scènes. Je me rappelle que l’une d’elles avait pour cadre le parc ensoleillé d’une propriété bourgeoise. Assise sous une tonnelle dans un salon de jardin, la maîtresse de maison, une femme blonde habillée d’une courte robe à fleurs, recevait la visite de deux jeunes gens aux cheveux bouclés qui, si l’on en croyait les sous-titres – les acteurs parlaient allemand – se présentèrent comme des camarades de sa fille. La femme pouvait avoir une quarantaine d’années ; les deux jeunes, pas plus de vingt. Une soubrette en tablier vint leur servir des boissons fraîches. Il faisait chaud. Alors qu’ils papotaient en sirotant leurs jus de fruits, la caméra allait de l’un à l’autre, épousant le regard de chacun. Les yeux des deux jeunes se posaient en gros plan sur les lèvres bien rouges de la mère de leur copine, puis sur sa poitrine déjà largement découverte par l’échancrure de son col déboutonné, sur ses cuisses croisées et surtout sur son ventre que parcouraient de langoureuses vagues qui soulevaient en cadence le tissu léger de sa robe à fleurs. Quant à son regard à elle, il s’attardait sans ambiguïté sur l’évidente boursouflure qui déformait les pantalons de toile de ses visiteurs…
L’érotisme avait atteint son paroxysme lorsque la femme avait décroisé les jambes et laissé entrevoir quelques centimètres carrés de culotte blanche en fine dentelle et qu’elle avait posé une main, celle avec l’alliance, sur la braguette de son invité de gauche, pendant que celui de droite, brusquement debout derrière elle, lui glissait la main entre les seins. Elle avait laissé aller sa tête en arrière et c’est alors que la caméra les avait abandonnés pour se consacrer aux fleurs pourpres du jardin que butinaient inlassablement de gros bourdons.
Il n’empêche : qu’elles soient anglaises, suédoises ou allemandes, ces naïades aux dialectes abscons et aux yeux trop bleus nous inspiraient une sainte frousse.
à suivre...
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