"Les ardents de la rue du Bois-Soleil" # 15
Chap. 4
Au printemps, chaque jeudi après-midi, les entraînements d’athlétisme reprirent sur le stade municipal. C’était l’occasion où jamais de parader, de rouler des mécaniques et d’exhiber sa musculature devant les filles. Jean qui ne voulait pas être en reste m’y accompagna ; il se lança à corps perdu dans le 400 mètres et le lancer du javelot où concourait aussi une certaine Reine Victoire, élève de mathélém, au patronyme certes un peu ridicule, mais aux yeux doux et aux jambes superbement fuselées. De mon côté, je m’étais inscrit comme l’année précédente au 1000 mètres et au saut en hauteur.
Un jeudi du mois de mai eut lieu la première compétition, sorte de championnat départemental où nous avons affronté les équipes des lycées avoisinants. Pour une fois, il y avait quelques dizaines de spectateurs au bord de la piste et dans les gradins de la petite tribune couverte : parents en mal d’exploit de leur progéniture, copains braillards et petites amies en émoi.
Ce fut au moment où je m’alignais au départ du 1000 mètres que je remarquai la présence de Geneviève, accoudée à la lisse blanche qui longeait la piste. Elle me regardait, souriante mais les yeux graves. Elle portait une robe bleue qui me parut bien légère malgré le soleil, et la noirceur de sa chevelure accentuait la pâleur de ses bras nus. À peine eus-je le temps de lui adresser un signe maladroit de la main que la course était déjà lancée. Pendant les deux tours et demi de piste, je ne cessai de penser à Geneviève qui devait sans doute me suivre des yeux. Dans les cinq cents premiers mètres, je me maintins prudemment dans le paquet mais, à l’amorce du dernier tour, je parvins à m’accrocher au groupe de tête. À l’entrée de la dernière ligne droite, nous n’étions plus que cinq… Je n’entendais même plus les cris venus de la tribune, mes jambes semblaient s’alourdir à chaque foulée, ma vue se troubla jusqu’à n’être plus qu’un voile bleuté, mon cœur battait à tout rompre, mon souffle m’abandonnait… Je terminai quatrième, épuisé, nauséeux, hagard, mais ayant pulvérisé de près de cinq secondes mon record personnel.
Allongé sur le dos dans l’herbe, les yeux au ciel, je mis de longues minutes à retrouver mes esprits. Jean fut le premier à me congratuler. Je cherchai Geneviève du regard, en vain.
- Tu sais que tu nous as fait peur ! dit Jean qui ne lâchait plus sa Reine. On a même cru à un moment que tu allais gagner… Tu te sens mieux ?
- Oui, ça va. Tiens, tout à l’heure, avant le départ, j’ai aperçu ta tante ; peut-être qu’elle avait quelque chose à te dire…
- Ma tante ? Elle est là, t’en es sûr ? Moi, je ne l’ai pas vue !
Ces derniers mots furent les plus doux de la journée, aussi réconfortants qu’un massage après les efforts de la course. Ainsi Geneviève n’était venue que pour me voir, moi ! Pour moi, elle avait passé une robe légère, pour me donner à deviner son corps de femme…
Si la fin de cette journée en fut ensoleillée, il n’en reste pas moins que cette apparition demeura sans lendemain et que, au fil des jours, l’euphorie fit place au doute.
Ce fut une nouvelle fois un « malheureux » hasard qui vint à mon secours. Ce coup de pouce du destin se présenta sous la forme d’une minuscule flaque d’eau sur la piste d’élan des lanceurs de javelot. Petite flaque d’eau providentielle dans laquelle Jean posa son pied d’appui qui se déroba au moment décisif. La semelle glissa un peu, la cheville tint bon mais pas le genou qui se tordit méchamment. Puis ce fut au tour de Jean de se tordre de douleur.
À l’hôpital, on diagnostiqua une légère mais vilaine entorse : bandage, immobilisation totale d’une semaine minimum. C’était le jeudi 11 juin 1964.
Je raccompagnai – ou plus exactement épaulai – l’estropié jusqu’à l’appartement de la Rue du Bois-Soleil. Bien sûr, ce serait moi qui chaque soir, après le lycée, viendrais apporter à Jean ses cours et ses devoirs de la journée. Et pour le week-end, pas question de bouger : exceptionnellement, Jean resterait à M** où je pourrais, si je le souhaitais, venir lui rendre visite.
À cette occasion, j’admirai le sang-froid et le cynisme de Geneviève : à aucun moment, elle ne se départit de son rôle de vieille fille acariâtre. En toutes circonstances, elle pouvait faire preuve de distance et de sévérité. Non contente de reprocher à Jean sa malencontreuse chute, elle s’arrangea pour lui faire comprendre que mes prochaines visites allaient contrarier ses projets et perturber son train-train quotidien. Tant et si bien que le pauvre Jean finit par s’excuser et promit de se faire discret. Il alla s’allonger dans sa chambre et n’en bougea plus.
Geneviève m’accompagna jusqu’à la porte d’entrée. J’avais la main sur la poignée lorsqu’elle vint se plaquer derrière moi et m’entoura de ses bras nus. Sa bouche était tout près de mon oreille. Je sentis vibrer son corps collé au mien, son corps chaud, sa poitrine contre mon dos, son ventre contre mes fesses.
- Il ne faudra pas faire de bruit, chuchota-t-elle. Surtout ne pas faire de bruit…
Ses mains descendirent, effleurèrent l’érection qui boursouflait mon pantalon.
- Demain ! souffla-t-elle. Je te montrerai tout demain. Aujourd’hui, ce serait trop compliqué. Allez, maintenant, sauve-toi !
à suivre...
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