Lundi 9 mars 2015
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Valentin # 15
- Alors, qu'est-ce que vous en pensez ?
- De quoi ?
- Des photos ! Ne me dites pas que vous n'y avez pas jeté un coup d'oeil ! dit-il en me désignant sa serviette de cuir posée
sur la table.
- Pourquoi, j'aurais dû ?
Philippe en est tout décontenancé. J'ai essayé de rattraper le coup :
- Avouez que ce n'est pas l'endroit idéal pour regarder des photos, surtout ce genre de photos. Venez, je vous invite.
Sans doute pensait-il qu'on irait à la boutique. Il s'est même arrêté devant le rideau de fer baissé.
- Non, ce n'est pas là que je vous emmène. Suivez-moi.
Tabou nous a accompagnés jusqu'au bout de la ruelle, mais lorsque nous avons débouché sur le grand boulevard qui borde le
fleuve, il s'est arrêté, s'est assis et nous a regardés nous éloigner à pas lents. Quelques centaines de mètres plus loin, la porte cochère d'un immeuble bourgeois, un escalier de marbre, une
lourde de chêne verni. J'ai précédé Philippe au salon d'honneur avec ses grands miroirs muraux, ses fresques galantes, ses fenêtres aux épaisses tentures . Je l'ai invité à prendre place sur le
sofa de velours cramoisi.
- Qu'est-ce que je vous sers ? Un café ou quelque chose de plus... tonique ?
- Un café, s'il vous plaît... On est chez vous ?
- Oui. C'est un héritage de mon oncle Théodore. Comme vous pouvez le voir, il s'agit d'une ancienne maison close. Mon oncle y
avait travaillé comme portraitiste avant-guerre. Après sa fermeture administrative, il a racheté le premier étage qu'il a transformé en appartement privé et y a aménagé un studio photo que
j'utilise encore parfois... Mais voyons plutôt ce que vous m'avez apporté !
Philippe a étalé une dizaine de photos de Monika sur la table basse. Il ne m'a fallu que quelques secondes pour faire mon
choix.
- Trop gynécologique ! ai-je dit en écartant les clichés de son sexe, rasé ou naturellement velu, en gros plan. Une photo se
doit de raconter une histoire... Comme celle-ci par exemple.
On y voyait Monika allongée sur le dos, en buste, la tête posée près d'une peluche blanche, un foulard noir posé sur les
yeux, les seins à l'air, avec dans la bouche une banane pelée que lui donnait à manger, sucer, mordre ou lécher, une main d'homme.
- C'est vous qui l'avez prise ?
- Oui.
- Pas mal du tout. Elle a de très beaux seins, mais je crois vous l'avoir déjà dit. Et sa bouche est plus que sensuelle. Vous
étiez sans doute très ému, c'est pour cela que la photo est floue. Mais c'est justement ce qui lui donne plus de charge érotique... C'est une photo qui laisse courir l'imagination et nous oblige
à nous poser autant de questions que de réponses possibles. La photo de la banane légèrement enfoncée dans son vagin est une de ces réponses, mais il y en aurait tant d'autres...
Philippe m'écoutait mais ne m'entendait pas. Il était ailleurs.
- Quel est le problème ?
- Elle est partie !
- Partie vraiment ou elle s'est simplement absentée ?
- Elle m'a écrit qu'elle partait pour quelques jours, le temps de prendre du recul.
- Ce n'est qu'une formule. Il faut juste savoir si cela veut dire que la partie est finie ou momentanément interrompue. Vous
êtes inquiet ?
- Oui.
- Pourtant quand on regarde ces photos, il s'en dégage beaucoup d'amour, de confiance et de complicité. Elle se donne, sans
retenue, sans fard. Si vous avez perdu le goût du jeu, c'est qu'à un moment de la partie, l'un de vous – ou peut-être les deux – a fait un mauvais choix ou commis une petite erreur dont il n'a
pas mesuré sur le coup les conséquences. J'aime beaucoup le titre de la pièce de Marivaux : « Le jeu de l'amour et du hasard », cela résume assez bien la vie en couple.
Et c'est parce que je me méfie terriblement du hasard que je me suis toujours refusé à vivre avec quelqu'un. De toute façon, il aurait fallu une femme exceptionnelle pour supporter un compagnon
qui passe sa vie à aimer, contempler et capturer les corps et les âmes d'une multitude d'autres femmes, souvent très belles... Mais je vous ennuie avec mes considérations de vieux garçon !
Qu'est-ce que vous allez faire ?
- Je ne sais pas.
- Je n'avais rien de prévu pour aujourd'hui. Je vous propose qu'on passe la journée ensemble. On parlera d'elle, de vous et
de vous deux... Surtout de vous deux. Vous aimez les coquilles Saint- Jacques ? Et j'ai aussi un excellent Chablis 2009 au frais. À propos de déjeuner, j'espère qu'après les photos, vous l'avez
dégustée ensemble cette banane !
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