Baiser chez des amis
Chez mes amis.
Pour l’occasion, Sandra et Bernard ont mis les petits plats dans les grands. On peut dire qu’on est gâtés : langoustines
fraîches, carré d’agneau accompagné d’un gratin d’aubergines, sorbet de fruits rouges maison. Ça fait plus d’un an qu’on ne s’était pas revus et, à cette époque, je vivais encore avec
Nadège.
Nadège, ils y
étaient habitués, ils avaient même fini par croire qu’on ne pourrait pas vivre l’un sans l’autre. Six années, tout de même, ça ne s’efface d’un simple geste de la main sur une poignée de
porte ! Et pourtant… Exit Nadège, histoire terminée, classée et oubliée… enfin presque. Désormais, il faudra dire Edwige. Avec cette finale identique qui tombe bien mal, les conversations
auraient pu tourner au numéro de funambules. Cependant, on parvient à se demander des nouvelles sans parler de Nadège, à évoquer le passé sans prononcer le nom de Nadège, à repartager des
souvenirs communs sans se rappeler de Nadège… À table, Bernard garde le sourire et Sandra croise et décroise ses belles jambes, comme si elle cherchait désespérément la bonne posture pour ne pas
faire de gaffes.
Le dîner s’achève tant bien que mal. On écoute quelques CD tout en discutant boulot, politique et cinéma. On ne parle ni d’amour ni
d’avenir : terrain miné ! Edwige se tait, elle écoute. Elle fait ça très bien.
Sandra nous accompagne jusqu’à la porte de la chambre d’amis. Une petite pièce douillette qu’ils ont aménagée dans une aile de la
maison. C’est simple, mais accueillant. Sandra a mis des doubles rideaux aux fenêtres, Bernard a accroché quelques-unes de ses aquarelles au mur. Il y a un grand lit bateau, une table de chevet,
et même une petite bibliothèque en cas d’insomnie. J’y ai beaucoup de souvenirs.
- Alors, comment tu les trouves ?
- Plutôt sympas… Tu les connais depuis longtemps ?
- Plus de vingt ans. On était au lycée ensemble.
Je l’observe pendant qu’elle se déshabille et jette ses vêtements en vrac sur le tapis. Je regarde ses seins, ses cheveux
blonds ; je pose la main sur ses hanches nues, entre ses cuisses entrouvertes…
- Le lit, il est comment ?
- Pas mal, mais je crois me souvenir que le sommier grince un peu…
Effectivement, il grince. Peut-être que c’est à cause de ça qu’Edwige n’a pas joui comme d’habitude… Ou alors, c’est à cause de ses
règles qui sont arrivées en pleine nuit, sans prévenir, et qui ont taché les draps et même le matelas. J’espère que Sandra et Bernard ne seront pas fâchés…
Chez ses amis.
Je dois admettre qu’on n’a pas été trop mal reçus, même si Juliette n’a rien d’un cordon bleu. Plateau de fruits de mer sans doute
acheté chez un traiteur, mouton rôti et glaces à l’eau parfumée. C’était bon, sans plus. Pas de quoi se relever la nuit ! À table, Pierre, le mari de Juliette avait le sourire grimaçant.
Mine de rien, il reluquait les cuisses d’Edwige qui pour l’occasion portait une jupe bien courte. Je mettrais ma main au feu que ces deux-là ont déjà baisé ensemble et que ça ne date pas du
siècle dernier.
Le repas n’en finissait pas. La conversation, c’était Radio Nostalgie : les souvenirs succédaient aux souvenirs, les
sous-entendus aux non-dits. Edwige et nos hôtes échangeaient des rires et des regards complices. De temps à autre, rayonnante de joie enfantine, elle me prenait à témoin :
- Tu te rends compte ! Tu aurais vu ça ! Dommage que tu n’aies pas été là, tu te serais bien marré !
Je souriais, enfin j’essayais. Comme si j’avais choisi de ne la rencontrer que l’an dernier !
Enfin on nous a
montré le chemin de la « chambre d’amis ». Ou plutôt du débarras aménagé. Il avait suffi de dérouler un tapis sur le linoléum, de remonter un vieux lit et une table de nuit dépareillés,
d’accrocher aux murs quelques déplorables tableaux et de mettre des doubles rideaux à la fenêtre. Neuf mètres carrés à tout casser, au bout d’un couloir très loin de la salle de bain et des
toilettes. Ça sentait le renfermé, c’était la « chambre d’amis ». Il n’y avait même pas une chaise pour poser ses fringues ! Mais Edwige s’était mise à poil, avait sauté sur le lit
et y minaudait comme une chatte qui vient de retrouver son panier.
- Le lit n’a pas l’air terrible…
- C’est pas grave, allez viens, donne-moi ta bite !
Dans le noir, j’ai repensé à Nadège, et aussi à toutes les fois d’avant où Edwige avait baisé dans ce lit, avec d’autres mecs et, sans
aucun doute, avec Pierre… Au dernier moment, je me suis retiré et j’ai tout balancé dans les draps.
© Michel Koppera, juin 2009 ( vous aurez reconnu
un dessin de Martin Veyron et une illustration de Jean Morisot )
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