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Vendredi 8 avril 2022 5 08 /04 /Avr /2022 08:00

Claire CASTILLON : "Les cris" roman paru en 2010 aux Editions FAYARD ( 190 pages).

Récit de la difficile séparation entre la narratrice et Adam. Le travail d'écriture de cette rupture est incarné ici par le "monstre textuel"

Extrait pages 105-106. 

" Adam m'a donc téléphoné pendant que le chien luttait pour ne pas sortir. Il voulait rester avec sa maîtresse. Le téléphone a sonné longtemps. J'ai même fini par me boucher les oreilles, je ne pouvais pas interrompre mon programme. Voilà Adam, me suis-je dit, il revient, la queue basse, combien de temps déjà ?

Je répondrai au prochain appel. Il est important d'amener Adam à penser que je ne suis pas barricadée chez moi à l'attendre. Es-tu fière de tes bas réflexes ? enrage le monstre textuel.

Détourner son attention. Lui faire part d'informations récemment acquises. Le remplir pour qu'il me vide. J'ai lu que l'orgasme vaginal était si fort qu'il fallait le garder secret afin de ne pas culpabiliser les femmes clitoridiennes en le leur disant. J'ai aussi entendu que le foie gras était un aliment diététique, contrairement aux idées reçues. 

Le montre textuel me demande si c'est là tout ce que j'ai dans le crâne. Il ajoute : Naughty girl, au lieu de raconter des bêtises, sentez-vous ces odeurs de nous, mêlées entre vos cuisses ?

Je sursaute. Vouvoiement ?

À la télévision, la femme dit : J'aime vivre avec mon molosse. J'aime qu'il m'attende quand je rentre. J'aime son odeur, j'aime son poil, son haleine. j'aime son dynamisme, sa vigueur, sa compagnie, sa fidélité. Mais parfois c'est du travail, je me demande si je l'aime. Ou si j'aime la mousse autour de lui.

Je suis certaine que la femme dit cela.

Après, je me concentre pour ne pas quitter la femme. Comme si j'écoutais une chanson dont on arrêtait soudain la musique, mais dont je devrais continuer à chanter le paroles. Si je perds la femme sous prétexte qu'elle quitte l'écran, je perds mon temps. Et si je perds le fil de sa journée, le monstre textuel va sonner le cloches.

Cela fait un moment que je caresse mon bras pour apaiser le monstre et tenter de l'endormir, mais une forte décharge ouvre mon entre cuisses.

Touchez-vous, dit le monstre textuel, tout chez vous m'excite ! Je vous veux, langue pendante, affûtée, aux abois, ne vous calmez pas. Laissez venir."

castillon-cris


Par michel koppera - Publié dans : lectures x - Communauté : Fantasmes et écriture
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Mardi 22 mars 2022 2 22 /03 /Mars /2022 08:00

En 2012, j'avais déjà consacré un article à ce roman paru en 1984 aux "Editions de Minuit".  Marguerite DURAS , L'Amant. Ce second article est consacré au récit du premier rapport amoureux de la jeune narratrice avec son riche "amant" chinois.

Extrait n° 1 : pages 49-50. La narratrice a suivi son amant jusque dans sa garçonnière dans le quartier de Cholen, à Saïgon.

" Il dit : vous m'avez suivi jusqu'ici comme vous auriez suivi n'importe qui. Elle répond qu'elle ne peut pas savoir, qu'elle n'a encore jamais suivi personne dans une chambre. Elle lui dit qu'elle ne veut pas qu'il lui parle, que ce qu'elle veut c'est qu'il fasse comme d'habitude il fait avec les femmes qu'il emmène dans sa garçonnière. Elle le supplie de faire de cette façon-là.

Il a arraché la robe, il la jette, il a arraché le petit slip de coton blanc et il la porte ainsi nue jusqu'au lit. Et alors il se tourne de l'autre côté du lit et il pleure. Et elle, lente, patiente, elle le ramène vers elle et elle commence à le déshabiller. Les yeux fermés, elle le fait. Lentement. Il veut faire des gestes pour l'aider. Elle lui demande de ne pas bouger. Laisse-moi. Elle dit qu'elle veut le faire elle. Elle le fait. Elle le déshabille. Quand elle le lui demande il déplace son corps dans le lit, mais à peine, avec légèreté, comme pour ne pas la réveiller.

La peau est d'une somptueuse douceur. Le corps. Le corps est maigre, sans force, sans muscles, il pourrait avoir été malade, être en convalescence, il est imberbe, sans virilité autre que celle de son sexe, il est très faible, il paraît être à la merci d'une insulte, souffrant. Elle ne le regarde pas au visage. Elle ne le regarde pas. Elle le touche. Elle touche la douceur du sexe, de la peau, elle caresse la couleur dorée, l'inconnue nouveauté. Il gémit, il pleure. Il est dans un amour abominable.

Et pleurant il le fait. D'abord il y a la douleur. Et puis, après cette douleur est prise à son tour, elle est changée, lentement arrachée, emportée vers la jouissance, embrassée à elle.

La mer, sans forme, simplement incomparable. " 

duras-amant

Extrait n° 2  : pages 54-55 . Le même jour

" Je lui dis de venir, qu'il doit recommencer à me prendre. Il vient. Il sent bon la cigarette anglaise, le parfum cher, il sent le miel, à force sa peau a pris l'odeur de la soie, celle fruitée du tussor de soie, celle de l'or, il est désirable. Je lui dis ce désir de lui. Il me dit d'attendre encore. Il me parle. Il me dit qu'il a su tout de suite, dès la traversée du fleuve, que je serais ainsi après mon premier amant, que j'aimerais l'amour, il dit qu'il sait déjà que lui je le tromperai et aussi que je tromperai tous les hommes avec qui je serai. Il dit que quant à lui il a été l'instrument de son propre malheur. Je suis heureuse  de tout ce qu'il m'annonce et je le lui dis. Il devient brutal, son sentiment est désespéré, il se jette sur moi, il mange les seins d'enfant, il crie, il insulte. Je ferme les yeux sur le plaisir très fort. Je pense : il a l'habitude, c'est ça qu'il fait dans la vie, l'amour, seulement ça. Les mains sont expertes, merveilleuses, parfaites. j'ai beaucoup de chance, c'est clair, c'est comme un métier qu'il aurait, sans le savoir il aurait le savoir exact de ce qu'il faut faire, de ce qu'il faut dire. Il me traite de putain, de dégueulasse, il me dit que je suis son seul amour, et c'est ce qu'il doit dire et c'est ce qu'on dit quand on laisse le dire se faire, quand on laisse le corps faire et chercher et trouver et prendre ce qu'il veut, et là tout est bon, il n'y a pas de déchet, les déchets sont recouverts, tout va dans le torrent, dans la force du désir."

Note : difficile de trouver une illustration qui convienne pour ce genre de texte. Alors, à défaut, je vous propose cette "nipponnerie moralement correcte"


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Vendredi 11 mars 2022 5 11 /03 /Mars /2022 08:00

"Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier" est un roman de Patrick Modiano paru en 2014 dans la collection NRF de Gallimard (146 pages)

Jean Daragane se trouve malgré lui entraîné dans un étrange voyage dans le passé. Comme à son habitude, Modiano peint à petites touches et phrases lourdes de sous-entendus le portrait de personnages aux contours indécis. Comme celui de Chantal Grippay, une jeune femme qu'il avait rencontrée une première fois en compagnie d'un certain Gilles. 

Extrait n° 1 : page 55. Un soir, Jean la reçoit dans son petit appartement parisien 

" C'était l'heure de la nuit où les maquillages se craquellent et où on se laisse aller au bord des confidences.

— Vous boirez bien quelque chose ?

— Oh oui... quelque chose de fort... J'ai besoin d'un coup de fouet...

Daragane fut étonné qu'à son âge elle employât cette expression surannée. Il n'avait pas entendu les mots "coup de fouet" depuis longtemps. Peut-être Annie Astrand les utilisait-elle autrefois. Elle tenait ses mains serrées l'une contre l'autre, comme si elle cherchait à contenir leur tremblement. 

Il ne trouva, dans le placard de la cuisine, qu'une bouteille de vodka à moitié vide dont il se demanda qui avait bien pu la laisser là. Elle s'était installée sur le divan, les jambes allongées, le dos contre le gros coussin orange.

— Excusez-moi, mais je me sens un peu fatiguée...

Elle but une gorgée. Puis une autre.

— Ça va mieux. C'est terrible, ce genre de soirée...

Elle regardait Daragane, l'air de vouloir le prendre à témoin. Il hésita un instant avant de lui poser la question.

—  Quelles soirées ?

— Celle d'où je viens...

Puis d'une voix sèche :

— On me paie pour aller à ces "soirées"... c'est à cause de Gilles... Il a besoin d'argent...

Extrait n° 2 : page 58. La conversation revient sur ces "soirées"

" — Quand je reste seule à Paris, on me fait participer à des soirées un peu spéciales.. J'accepte à cause de Gilles... Il a toujours besoin d'argent... Et maintenant ça va être pire puisqu'il va se trouver sans travail...

Extrait n° 3 : page 61. Jean et Chantal viennent de découvrir qu'ils ont naguère habité dans le même immeuble et fréquenté les mêmes lieux de plaisir.

— J'avais un ami qui jouait aux courses, et aussi au casino de Charbonnières...

Elle semblait rassurée par ces paroles et elle lui lança un faible sourire. Elle devait penser qu'avec quelques dizaines d'années d'écart ils étaient du même monde. Mais lequel ?

— Alors, vous reveniez de l'une de ces soirées ?

Il regretta aussitôt de lui avoir posé la question. Mais apparemment elle se sentait en confiance

— Oui... C'est un couple qui organise des soirées d'un genre un peu spécial dans leur appartement... Gilles a travaillé un moment chez eux comme chauffeur... Ils me téléphonent de temps en temps pour me faire venir... C'est Gilles qui veut que j'y aille... Ils me paient... Je ne peux pas faire autrement..."

modiano-quartier

Des soirées dans ce genre-là ?


 

 


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Mardi 22 février 2022 2 22 /02 /Fév /2022 08:00

Jean-Claude IZZO : "Total Khéops". Polar paru en 1995 dans la collection Série Noire (N°2370) chez Gallimard (284 pages)

Extrait pages 251-252 : Fabio Montale, le flic narrateur, se souvient d'une balade en montagne en compagnie de Leila, une beurette dont il était secrètement amoureux.

" Leila marchait devant moi. Elle portait un short en jeans effrangé et un débardeur blanc. Elle avait ramassé ses cheveux dans une casquette de toile blanche. Des perles de sueur coulaient dans son cou. Par moment, elles étincelaient comme des diamants. Mon regard avait suivi le cheminement de la sueur dans son débardeur. Le creux des reins. Jusqu'à sa taille. Jusqu'au balancement de ses fesses.

Elle avançait avec l'ardeur de sa jeunesse. Je voyais ses muscles se tendre, de la cheville jusqu'aux cuisses. Elle avait autant de grâce à grimper dans la colline qu'à marcher dans la rue sur des talons. Le désir me gagnait. Il était tôt, mais la chaleur libérait déjà les fortes odeurs de résine des pins. J'imaginai cette odeur de résine entre les cuisses de Léila. Le goût que cela pouvait avoir sur ma langue. À cet instant, je sus que j'allais poser mes mains sur ses fesses. Elle n'aurait pas fait un pas de plus. Je l'aurais serrée contre moi. Ses seins dans mes mains. Puis j'aurais caressé son ventre, déboutonné son short.

Je m'étais arrêté de marcher. Leila s'était retournée, un sourire aux lèvres.

— Je vais passer devant, j'avais dit.

Au passage, elle m'avait donné une tape sur les fesses, en riant.

— Qu'est-ce qui te fait rire ?

— Toi.

Le bonheur. Un jour. Il y a dix mille ans. "

izzo kheops


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Mardi 8 février 2022 2 08 /02 /Fév /2022 08:00

"La femme gelée" est un récit autobiographique paru en 1981 chez Gallimard. Disponible en collection Folio n° 1818 (182 pages)

Annie Ernaux, enseignante, mariée, trentenaire et mère de deux enfants, a toutes les apparences d'une femme heureuse. Et pourtant c'est une femme gelée qui a peu à peu perdu le goût de la vie. Ses souvenirs la replongent dans son enfance et son adolescence, quand elle découvrait son corps et les premières manifestations du désir. 

Pour illustrer cet article, je vous ai choisi une photographie de Hans Bellmer (the Doll) qui m'a paru en accord avec le propos d'Annie Ernaux sur son adolescence.

Pages 70 et suivantes : années 50 : Annie a pour copine une certaine Brigitte

" Elle se laissait aller souvent, elle oubliait le langage de Nous Deux, Brigitte, sa surface de petite fille comme il faut fichait le camp. Ensemble, on parlait de "ça". Et de "ça", les filles, je le savais, ne doivent pas parler. Intarissable, informée, Brigitte, avec ses propos rigolards et crus me libérait tous les dimanches. Avec elle, le monde était un sexe immense, une formidable envie, un écoulement de sang et de sperme. Elle savait tout, que des hommes vont avec des hommes et des femmes avec des femmes, comment il fallait faire pour ne pas avoir de môme. Incrédule, je fourrage dans la table de nuit (de mes parents). Rien. De dessous le matelas je tire une serviette froissée, empesée de taches par endroits. Objet terrible. Un vrai sacrilège. Quel mot a-t-elle employé, celui des hommes, le jus, la jute, on ne connaissait pas, le savant peut-être, qu'elle avait lu quelque part, sperme, qu'est-ce que l'écrire à côté de l'entendre résonner dans la chambre de mes parents à treize ans. On se racontait des histoires à horrifier les adultes, n'importe quel objet devenait obscène. Jambes en l'air, sexes ouverts ou dressés, banalité des revues pornos, on faisait mieux en paroles et plus gai. Pas de discrimination, le masculin et le féminin se partageaient nos conversations techniques et blagueuses. Impossible avec Brigitte de sombrer dans la honte le jour où la première secousse m'a saisie sous les draps, elle rit, moi aussi ça m'arrive, mais ne va pas raconter ça au curé, ça ne le regarde pas.

Et quel triomphe de lui annoncer que je suis comme "ça" moi aussi, plus la peine de me faire des simagrées avec ses maux de ventre, moi je porte une nouvelle situation avec bien-être.

Non je n'avais pas imaginé ainsi, le geste tranquille de relever la jupe plissée, baisser la culotte et s'asseoir sans penser à rien, le bas des cuisses bridé par l'élastique. La surprise absolue. Voir ce que je n'ai jamais vu encore, mon sang à moi, celui-là. Un état finit. Je reste à regarder comme les cartomanciennes du marc de café. Ça y est. Voilà cinq minutes après ma mère plaisante faux, "c'est comme ça qu'on devient jeune fille". Ni plus ni moins jeune fille qu'hier, simplement un merveilleux événement. Impossible de dire à ma mère mon contentement, une chose à dire à la seule qui comprendra, Brigitte. Déjà le récit se déroule dans ma tête, figure-toi que lundi à l'école comme d'habitude. Lui dire aussi ma crainte que ça s'arrête d'un seul coup, que j'aurais aimé une belle source limpide et que c'est un suintement marécageux, et elle ?

Tout lui paraissait bon à dire. Sûrement cette parole libre qui me liait à elle, la même qui ensuite me fera honte. Pas de chochotteries comme à l'école, pas d'inavouable. "Moi j'aime bien regarder les poitrines des femmes au cinéma !" J'entends encore son ton assuré, les dimanches d'été, elle mâchouillait un brin d'herbe qu'elle recrachait régulièrement, "les femmes n'aiment pas faire ça, ma mère me l'a dit" et puis ses yeux de chat et son rire, "tant pis, moi j'aimerai !" Parler le corps et le rire surtout. Mais j'étais sûre que c'était mal. L'idéal : l'autre Brigitte, celle de la collection pour jeunes filles, qui allait aux expositions de peinture et ne disait jamais un gros mot. Ma Brigitte à moi, elle ne l'oubliait pas non plus, le code de la vraie jeune fille. "Moi j'aimerai ça !" mais elle se levait, tapotait sa robe gracieusement, faisait une petite moue de dignité, le nez en l'air. Tout ça, c'était entre nous, pas ainsi qu'il convenait d'apparaître aux autres sous peine de passer pour des vicieuses, des dessalées salopes. Même, il était tapi dans nos conversations secrètes, le code. Pas d'erreur, par Brigitte j'ai tout appris sur la virginité, la porte que l'homme ouvre dans la douleur, la marque de la bonne conduite, pas possible d'en dissimuler l'absence, sauf piqûres de citron et encore. Extasiée, la tête renversée, l'œil mi-clos, Renée, la copine de bureau de Brigitte, disait à la sortie de la messe : "Il m'a dit, si tu n'es pas vierge le soir du mariage, tu entends, je t'étrangle." C'était devant le magasin d'électro-ménager et de valises. Quel frisson. Et les filles mères, il n'y avait pas à pleurer dessus. Les hommes, eux, pouvaient baiser tant qu'ils voulaient, mieux au contraire qu'ils aient de l'expérience, qu'ils sachent nous "initier". Malgré mon enfance active, ma curiosité, j'ai accepté comme une évidence d'être en dessous et offerte, la passivité ne m'a pas répugné à imaginer, rêve d'un grand lit ou d'herbes face au ciel, un visage se penche, des mains, la suite des opérations ne m'appartient jamais. L'admettre, on osait décrire nos règles et nos envies, mais le mariage a commencé à me paraître obligatoire et sacré avec elle. Et tacitement, si on parlait de notre sexualité, on n'envisageait pas de pouvoir la vivre jusqu'au bout."

Ernaux Hans Bellmer

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Mardi 28 décembre 2021 2 28 /12 /Déc /2021 08:00

David Foenkinos, "Les souvenirs", récit autobiographique paru en 2011 chez Gallimard. Disponible en collection Folio n° 5513 (290 pages)

Pour terminer mon année littéraire, je vous ai choisi un paragraphe "hymne à l'amour" où le narrateur évoque son amour pour Louise. Elle est professeur à Etretat, il est réceptionniste de nuit dans un hôtel parisien et accessoirement écrivain. Je pense que tous ceux d'entre vous qui ont vécu les premiers temps de l'amour apprécieront la justesse de ces quelques lignes.

Pages 234-235. " Après cette étape où Louise avait eu besoin de digérer notre rencontre par le silence, nous avons repris notre histoire. À nouveau, on ne cessait de se parler. On s'écrivait toute la journée. Dès que je vivais quelque chose, j'étais heureux de le vivre uniquement parce que cela se transformait aussitôt en matière à partager avec elle. L'angoisse épuisante des premières semaines s'atténuait progressivement, et je retrouvais un état naturel. Louise me rejoignait souvent le week-end, et je me précipitais sur elle. Le manque accumulé pendant les jours loin l'un de l'autre aggravait le désir. Nous avancions vers une sexualité de plus en plus libre. Je lui demandais ses fantasmes, et elle chuchotait des péripéties érotiques dans mes oreilles heureuses. Elle jouait à être mon jeu. Elle me disait : je suis à toi, je fais tout ce que tu veux, je suis ton corps qui te reçoit et je suis ta bouche qui te boit. Elle lissait ses cheveux, mettait un serre-tête, conservait ses talons, susurrait quelques mots en allemand, et me disait : Oh oui, comme j'ai envie. C'était fabuleux ce temps de l'érotisme acide, où les heures passent aussi vite que la jouissance est retardée. Les mois avancèrent ainsi, avec l'emploi du temps dissocié de notre amour : l'esprit la semaine, et le corps le week-end."

foenkinos

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Mardi 14 décembre 2021 2 14 /12 /Déc /2021 08:00

Roman largement autobiographique paru en 1965 chez Jean-Jacques Pauvert, "L'astragale" débute par l'évasion de la narratrice, encore mineure, de la "maison d'éducation surveillée" où elle est enfermée. En  sautant le mur d'enceinte, elle se brise l'astragale (un os du pied). Aux côtés de Julien qui l'a recueillie, elle va s'épanouir et découvrir le monde. Disponible en collection Livre de poche n° 2418 (192 pages)

Extrait pages 107-108 :

" Depuis mon évasion, je ne côtoie que des ex-taulards, des repris et non-repris de justice ; bien sûr, en prélude à mes retrouvailles avec Rolande, je n'avais pas l'intention de fréquenter d'autre monde, je rêvais de mauvaises relations, de mauvais coups, d'un tas de mauvaises choses à lui étaler ; mais mes rêves s'effritent, l'été décroît, Rolande s'irréalise... Bonjour, c'est moi : tu vois, je suis venue. Que peux-tu, que veux-tu faire avec moi, demain, lorsque nous aurons mangé, bu, bavardé et dormi ensemble ? Crois-tu que je me soucie encore de pèleriner aux sources de ton derrière, maintenant que d'autres moyens de jouir et de pleurer me sont revenus ? Entre toi et moi, à chaque seconde, le temps monte son mur ; je reste dans la nuit, mais s'il y a quelque part une aurore et que j'en découvre le chemin, j'y marcherai sans m'appuyer à toi, Rolande, Rolande de merde que c'est ta faute si j'ai la patte esquintée, oui : je me serais tirée de toute façon, j'aurais rencontré Julien quand même, et je ne serais pas obligée aujourd'hui de penser à toi, ma douce, avec la reconnaissance et la rancœur du ventre. Je ne sais pas si je goûte encore les femmes et si je dédaigne toujours les hommes ; mais l'homme à goûter, la femme à dédaigner, je sais leurs noms... Julien... mais... je t'aime ! ...."

Julien, je ne veux pas galvauder les mots, je me ferme la bouche de tes baisers ; mais je comprends que l'heure est venue... que je ne peux plus gambader dans les traverses, qu'il va falloir me jeter sur une voie unique, oh ! Rolande, Julien, je m'écartèle..."

astragale

Commentaire. Je me souviens que la publication de l'Astragale avait fait scandale, sans qu'à l'époque je comprenne vrament pourquoi. Je l'ai lu lors de ma première année universitaire (en 1970-71) et là encore, je dois avouer que je n'en avais pas saisi la portée. Ce n'est que cette année, soixante ans plus tard, que j'ai réalisé à quel point le récit était novateur : une très jeune femme rebelle, encore mineure, y revendiquait son homosexualité (liaison avec Rolande) et sa potentielle bisexualité (attirance pour Julien). C'était tout simplement l'histoire d'une femme libre

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Mardi 23 novembre 2021 2 23 /11 /Nov /2021 08:00

"Éloge des femmes mûres" est paru en France en 2001 aux Editions du Rocher, puis chez Gallimard. Mais ce roman, devenu best seller,  fut  initialement publié à compte d'auteur au Canada en 1965 sous le titre "In praise of older women". Son auteur d'origine hongroise Stephen Vizinczey, a dû s'exiler à l'ouest après la répression de la révolution hongroise de 1956. Le roman est disponible en collection Folio n° 4367 (284 pages) 

Extrait, pages 248-249 du Chapitre 15 : "Du bonheur avec une femme frigide". Rome. Le narrateur est l'amant de Paola, femme mariée qui revendique sa frigidité.

" Un samedi matin, tard, je fus réveillé par la chaleur. Le soleil m'arrivait dans les yeux à travers les vitres cintrées et les voilages blancs et il devait faire au moins trente-cinq degrés dans la chambre. Pendant la nuit nous avions rejeté la couverture et le drap de dessus, et Paola était étendue sur le dos, les jambes relevées, respirant sans un bruit. Nous ne semblons jamais autant à la merci de notre corps, la proie de notre inconscient, que lorsque nous sommes endormis. Le cœur battant, je décidai de tenter le tout pour le tout. Lentement, je lui écartai les jambes, tel un voleur écartant les branches pour frayer subrepticement son chemin dans un jardin. Derrière la touffe d'herbe blonde, je voyais son bouton rose foncé, avec ses deux longs pétales légèrement ouverts, comme si eux aussi avaient été sensibles à la chaleur. Ils étaient particulièrement ravissants et, toujours avide, je me mis à les humer et à les lécher. Les pétales ne tardèrent pas à s'amollir et je savourai bientôt la rosée de bienvenue, bien que le corps restât immobile. Paola devait maintenant être réveillée, mais elle n'en montrait rien ; elle se maintenait dans cet état rêveur où l'on essaie d'échapper à la responsabilité de ce qui va arriver en déclarant d'avance n'être ni vainqueur ni vaincu. Dix minutes, ou peut-être une demi-heure plus tard (le temps s'était dissous dans une odeur de pin), ses entrailles commencèrent à se contracter et à se relâcher, et, en frémissant, elle accoucha enfin de sa jouissance, ce fruit de l'amour dont ne peuvent se passer même les amants d'un jour. Quand la coupe déborda, elle me prit les bras pour m'attirer contre elle et je pus enfin la pénétrer la conscience tranquille.

— "Tu as l'air content de toi" : telles furent ses premières paroles quand elle posa de nouveau sur moi son regard bleu et critique."

vizinczey

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Vendredi 12 novembre 2021 5 12 /11 /Nov /2021 08:00

"Nouvelles sous ecstasy" est un recueil de 14 textes très courts écrits entre 1990 et 1999. Le recueil est paru en 1999 chez Gallimard et on le trouve en collection Folio n° 3401 (101 pages) 

Pour cet article, je vous ai choisi des passages de la nouvelle "Le jour où j'ai plu aux filles" datée de 1994.

Le narrateur vient de recontrer deux jeunes filles dans la rue.

" Comme toujours dans ces cas-là, il y en avait une jolie et une moche — et ça faisait deux cafés à payer (trois en comptant le mien).

Je leur ai proposé : "On s'asseoit à une terrasse ?"

— Pour quoi faire ? m'ont-elles répondu en chœur. Si tu veux faire l'amour avec nous, on est d'accord. pas besoin de payer deux cafés (trois en comptant le tien).

La jolie m'a embrassé sur la bouche en y tournant la langue. La moche a posé sa main sur mes couilles avec une certaine délicatesse. La jolie a glissé la sienne dans ma chemise pour caresser mon torse glabre. La moche m'a fait bander. La jolie a tiré mes cheveux. La moche a roulé une pelle à la jolie. La moche était plus jolie que la jolie.

Et tout ceci se passait en pleine rue, devant les passants indifférents. Puisque je vous dis que ce matin n'était pas tout à fait normal.

Nous sommes allés sur un banc public, et tandis que je léchais l'oreille de la jolie, la moche s'installait à califourchon sur moi. En l'absence de culotte, elle avait un intérieur confortable. Après quelques secousses, nous jouîmes à l'unisson.

Je suppose que nous avons crié très fort car quand j'ai rouvert les yeux, il y avait un attroupement autour de notre banc. Certains badauds avaient même jeté des pièces. Le temps de les ramasser et les deux filles avaient disparu."

beigbeder-ecstasy

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Vendredi 5 novembre 2021 5 05 /11 /Nov /2021 08:00

Régine Deforges : "Lola et quelques autres" est un recueil de 13 nouvelles (chacune a pour titre un prénom féminin commençant par le lettre L et pour cadre un quartier de Paris) parues en 1979 aux Editions Jean Goujon. On peut trouver ce recueil en Livre de poche n° 5596 ( 219 pages)

Extrait. Lucette ou la belle crémière de la rue Mouffetard

Lucette est amoureuse de Victor, le boucher. Elle le retrouve pendant la pause d'un après-midi d'été.

" Victor enfonçait sa bouche sentant la viande grillée et le vin dans son cou, puis entre ses seins qu'il palpait comme il devait palper un bœuf pour apprécier la qualité de la bête. Un jour, d'ailleurs, voulant complimenter Lucette sur la beauté et la douceur de sa peau, il lui avait dit au plus fort de leur étreinte amoureuse :

− Ah ! quelle belle viande !

Au lieu d'agacer Lucette, cela l'avait considérablement excitée. C'est elle qui insistait pour qu'il ne lave pas le sang de ses mains avant de la caresser. Une fois, elle avait failli devenir folle de plaisir quand, pressé par le temps, il l'avait bousculée sur le billot de la boucherie sans même prendre la peine d'écarter la viande sur laquelle il était en train de travailler et, lui relevant les jambes à hauteur des épaules, l'avait besognée avec une force qui faisait trembler la lourde table. Elle avait éprouvé, au contact de cette chair morte d'où montait une odeur fade et à celle vivante, chaude, de l'homme sur laquelle roulaient des gouttes de sueur âcre et salée, une volupté jamais attteinte. Depuis, quand elle croisait des bouchers, aux vêtements, aux mains et quelquefois au visage poisseux de sang, portant d'énormes quartiers de viande saignante, elle éprouvait un orgasme rapide qui lui laissait les jambes molles.

Au début de leur liaison, Victor s'était amusé de ce qu'il appelait "ses lubies". maintenant, quelquefois, ça lui donnait envie de l'envoyer "se faire voir ailleurs". Mais, il revenait toujours à de plus aimables sentiments : Lucette avait un cul et des seins comme il les aimait. Du plus loin qu'il se souvenait, il n'en avait jamais vu d'aussi gros ni d'aussi fermes en même temps. Imaginez des tétons aux pointes d'un rose si tendre qu'on aurait dit du veau, et se dressant à la moindre caresse, débordant largement des deux mains réunies, et quelles mains ! des mains de boucher, au sillon si confortable que plus d'une fois il y avait glissé son sexe. Quant au cul ! ... ah, ce cul !... il aurait fallu que le boucher fût poète pour lui rendre un hommage digne de son opulence, de sa douceur, de sa fermeté, de sa blancheur, de son parfum. Le cul de Lucette sentait la crème fraîche, la paille de la litière, le foin dans la mangeoire."

deforges-lucette2

Par michel koppera - Publié dans : lectures x - Communauté : Fantasmes et écriture
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